Dans La Mémoire des arbres, le troisième volet de son cycle Ghost Road, Fabrice Murgia soulève une catastrophe nucléaire assez méconnue : celle de la ville russe d’Oziorsk, en 1957. Sans réussir à en exprimer toute la tragédie ni la complexité.
Afin de partager avec les spectateurs les voyages, les rencontres qu’il fait hors de Belgique, loin, le metteur scène Fabrice Murgia aime à utiliser des dispositifs toujours différents. Il se plaît à faire du mélange des disciplines et des nouvelles technologies non des outils de séparation, mais de rassemblement. De partage. Entre chant, texte et image, son Ghost Road 1 mêlait ainsi opéra et road-movie pour nous mener sur la route 66 aux États-Unis, jusqu’à la station balnéaire abandonnée Bombay Beach. Dans Children of nowhere (Ghost Road 2), c’est dans une ville fantôme chilienne qu’il nous entraînait à sa suite, à la rencontre des anciens prisonniers politiques du camp de Chacabuco dont les témoignages filmés étaient accompagnés par un quatuor, par la chanteuse Lore Binon et la comédienne Viviane De Muynck. Sur une composition de Dominique Pauwels, comme pour le premier opus et le troisième, qui vient d’être créé au Théâtre National Wallonie-Bruxelles que dirige Fabrice Murgia. Lequel est cette fois allé chercher son lieu « presque entièrement déserté » du côté de la Russie. Dans l’Oural du Sud, aux abords d’Oziorsk.
À peine le casque prévu à cet effet posé sur nos oreilles, on apprend grâce à des vidéos que dans cette ville a eu lieu une catastrophe nucléaire en 1957. Interrogées par Fabrice Murgia et Dominique Pauwels, qui l’accompagne sur l’ensemble du processus de création, les personnes qui témoignent ne sont pourtant pas tout à fait d’Oziorsk mais des environs. Car, nous apprennent-elles, abritant le site de Maïak qui fut l’un des principaux sites de fabrication du plutonium pendant la guerre froide, Oziorsk est ce qu’on appelle une « ville fermée ». Contrairement aux deux pièces précédentes du cycle Ghost Road où, bien que fantômes, les lieux dont il est question sont présents par l’image, La mémoire des arbres est donc construite à partir d’un manque. D’un impossible aussi difficile que passionnant à combler.
Pour y remédier, il a fallu à Fabrice Murgia et à Dominique Pauwels faire appel à la fiction. À l’imaginaire. Interprété par le fameux acteur belge Josse De Paw, c’est le personnage de Sergueï Lubinov, amnésique qui tente de reconstituer ses souvenirs d’enfance à Oziorsk, qui en est le principal vecteur. Seul sur un plateau où un décor d’appartement délabré – sauf lorsqu’y apparaissent des enfants, dont la pièce aurait bien pu se passer –, suintant, cohabite étrangement avec un laboratoire dont la fonction ne sera jamais dévoilée, le comédien se livre à une partition beckettienne. Lorsqu’il livre ses bribes de récit à une caméra, on pense en effet au Krapp de La Dernière bande. La suite d’opérations bizarres qu’il réalise avec application – remplir un tonneau en y déversant le contenu de bidons en plastique, dépecer un poisson… – semble d’autant plus absurde qu’elle n’a que peu de rapports apparents avec sa parole.
La Mémoire des arbres échoue pourtant à réveiller une quelconque conscience écologique. Tout comme elle s’arrête au seuil de la poétique absurde, tragique, dont on sent le désir dans le jeu de Josse De Paw, dans ses paroles erratiques. Faute d’expliciter ou d’interroger son rapport à la réalité, au territoire abordé, Fabrice Murgia ne met à aucun moment le spectateur en position de décrypteur. D’enquêteur. Accentuée par les casques, l’immersion qu’il propose est d’autant plus nuisible à la pièce que son récit est mince. En refusant de choisir entre onirisme et documentaire, le metteur en scène passe à côté des deux. Le cri final de l’avocate militante originaire d’Oziorsk, Nadezda Kutepova, qui a assisté le metteur en scène à la dramaturgie, semble ainsi sorti de nulle part. Alors qu’il aurait dû résonner loin et longtemps.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
La Mémoire des arbres
En coprésentation avec KVS
Conception, écriture et mise en scène : Fabrice Murgia
Avec : Josse De Pauw, Des enfants
Composition, installations et interprétation : Dominique Pauwels
Traduction et assistanat en voyage : Tatiana Mukhamediarova
En collaboration avec : Tatiana Stepanchenko
Assistanat à la traduction et mise en scène : Olya Tsoraeva
Assistanat dramaturgie : Nadezda Kutepova
Cécile Michel
Scénographie et lumière : Giacinto Caponio, Fabrice Murgia
Création vidéo : Giacinto Caponio
Décoratrice : Anne Marcq
Accessoires : Noémie Vanheste
Recherches : Virginie Demilier
Programmeur interface : Quentin Meurisse
Chœur (enregistrement) : Chœurs d’Enfants et de Jeunes de la Monnaie Bruxelles
Chef de chœur (enregistrement) : Aldo Platteau
Exécution musicale (enregistrement) : SPECTRA
Régie son : Brecht Beuselinck
Régie lumière : Virgile Morel, Jannes Dierynck
Régie plateau : Wim Piqueur
Régie plateau (Théâtre National Wallonie-Bruxelles) : Christophe Blacha, Dimitri Wauters
Régie vidéo : Mohammed Sassi
Régie générale (Théâtre National Wallonie-Bruxelles) : Romain Gueudré
Montage vidéo : Dimitri Petrovic
Décor et costumes : Ateliers du Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Merci à : Gilani Dambaev, Garifulla Habibulin, Gulshara Ismagilova, Gosman Kabirov, Fatima Kobzhasarova, Lubov Lebzina, Natalia Manzurova, Sergueï Kuprienko, Esther Denis, Moussa Benchaoui, Victor Hidalgo, Wout Clarysse, LOGOS, Dada Studios
Production : Cie Artara & LOD muziektheater
Coproduction : Théâtre National Wallonie-Bruxelles, KVS – Koninklijke Vlaamse Schouwburg, Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, Théâtre L’Aire Libre de St Jacques de la Lande
Avec le soutien de : Tax Shelter du Gouvernement Fédéral Belge
Tax shelter partenaire : Flanders Tax Shelter
Création Studio Théâtre National Wallonie-BruxellesThéâtre National Wallonie-Bruxelles (BE)
Du 13 au 22 septembre 2019
Théâtre Jean Vilar – Vitry-sur-Seine
Le 20 novembre 2019
Théâtre Joliette – Marseille
Les 16 et 17 janvier 2019
NTGent – Gand (BE)
Les 22 et 23 janvier 2019
Festival Mythos – Rennes
Les 30 et 31 mars 2019
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