Dans On était une fois, présenté au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières (20-29 septembre 2019), Emmanuel Audibert interroge la notion de public à travers un petit théâtre mécanique et naïf, réjouissant, où des peluches assistent à un spectacle de « On ».
Installées sur des gradins miniatures, une vingtaine de peluches quelconques, du genre doudous que les enfants traînent partout, accueillent en silence les spectateurs qui s’alignent sur des sièges similaires. Simplement d’une échelle supérieure. Mécanisés par Emmanuel Audibert, qui bidouille depuis une dizaine d’années des pantins en tous genres, le souriceau au gros ventre du premier rang, ses voisins le poussin et l’agneau – au théâtre des peluches comme dans celui des humains, les petits ont le privilège du devant –, le gorille placé plus haut ou encore le chien assis tout en haut ne tardent pas à s’animer. « Ça va bientôt commencer ? », demande l’un. « Au fait, de quoi ça parle ? », ou « C’est bien pour les enfants ? », s’interrogent d’autres à voix haute. Mine de pas grand-chose, On était une fois nous tend un miroir, à nous qui sommes rassemblés pour regarder les mêmes objets dérisoires. À nous les spectateurs.
L’attente des peluches occupe toute la première moitié du spectacle. Commandées par un robot pré-programmé, les bestioles de chiffon ont le temps de s’impatienter, et d’y aller chacune de leurs commentaires. De leur bavardage, qui dit beaucoup de leur rapport à l’art, à la scène. Le souriceau explique qu’il aime aller au spectacle pour râler, avant de remuer du bidon et de sermonner ses deux petits voisins sautillants. Le gorille cite Nietzsche et fait montre d’une patience exemplaire, tandis qu’un autre singe s’exprime par proverbes chinois et que le chien, programme en mains, annonce à l’assemblée ce qu’elle va voir : « un spectacle de 0n ». Les On étant des bonhommes au torse de plastique et aux qualités mélomanes que ne laissent pas soupçonner leur allure playmobil, qui se produisent d’ailleurs régulièrement en concert sans son public peluche. Avec Emmanuel Audibert qui, en plus d’être comédien, metteure en scène et circassien, est un pianiste de talent.
Le spectacle commence enfin. D’abord minuscules, les créatures de polystyrène traversent lentement la piste circulaire située entre peluches et public. Dans une autre scène, on les voit danser, puis se livrer à leur spécialité, la musique. Mais, comme dans Qui est Monsieur Lorem Ipsum ? (2013), la précédente création d’Emmanuel Audibert, l’intérêt principal du spectacle réside non dans la représentation donnée par les On, mais dans la relation qu’ils entretiennent avec les deux groupes de spectateurs : les vivants et les mécanisés. Et dans le lien muet de ces deux groupes entre eux, qui soulève des questions que posent souvent des universitaires, mais plus rarement des artistes. Surtout avec cette légèreté, ce côté naïf, enfantin, qui nous ramène sans jamais forcer à l’origine de notre goût pour l’art. Pour le théâtre, la marionnette. À notre choix d’aller voir On était une fois plutôt qu’un autre des très nombreux spectacles du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières ou d’ailleurs. Ou plutôt qu’un match, un film, n’importe quoi.
En rendant hommage au spectateur, Emmanuel Aubibert ne verse jamais dans la complaisance. Au contraire. Donnant à appréhender la grande diversité des rapports à l’art, il soulève la fragilité du public. Son caractère extrêmement hétérogène, éphémère. Ses vulgarités parfois, ses attitudes consommatrices, narcissiques. Derrière son aspect naïf, On était une fois propose une réflexion sur l’état du théâtre, et sur ce qu’il dit de notre société. De ses espoirs et de ses dérives.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
On était une fois
Écriture, mise en scène et manipulation : Emmanuel Audibert
Collaboration artistique : Mathilde Henry
Dramaturgie : Jennifer Lauro-Mariani
Arrangements musicaux : Gilles Stroch
Regards extérieurs : Joëlle Nogues, Jean-Louis Heckel, Sylviane Manuel
Création Mars 2018 au Festival MARTO, Théâtre Jean Arp – Clamart (92)
Coproductions : Théâtre Jean Arp, Clamart – Théâtre Gérard Philipe, Champigny
Aides à la création : Conseil général du Val-de-Marne, DRAC Île-de-France
Avec le soutien de : La Nef, manufacture d’utopies, Pantin – Anis Gras, le lieu de l’autre, Arcueil – Institut International de la Marionnette, Charleville-Mézières – Espace Périphérique, Mairie de Paris, Parc de la Villette – Odradek, Compagnie Pupella-Noguès, Quint-Fonsegrives
Durée : 1hMARTO 2023
L’Azimut – Théâtre La Piscine | Châtenay-Malabry
14 et 15 mars 2023/strong>
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