Dans leur premier spectacle, Borderless, les acrobates Blanca Franco et Sébastien Davis Van Gelder font du main à main un outil d’exploration de leurs différences. Avec humour, ils abordent une réalité qui les dépasse et les traverse malgré eux : la frontière américano-mexicaine.
Borderless de Blanca Franco et Sébastien Davis Van Gelder, alias Seb & Blanca, marque nos retrouvailles avec les arts du cirque. Nous aurions dû le découvrir en juin à l’occasion des 20 ans du festival de cirque Solstice, porté par l’Espace Cirque d’Antony. Celui-ci l’a finalement programmé le 27 juin à l’occasion de ses « Petites retrouvailles avant les grandes ». Une soirée de lancement d’une saison 20-21 « qui est finalement redevenue ce qu’elle était à la veille du confinement avec des spectacles reportés et des surprises en plus », écrivait l’équipe dans son mail d’invitation à la soirée. Malgré une interruption à mi-parcours par une averse – pour le respect des mesures sanitaires, la soirée était organisée à l’air libre –, les deux artistes ont fait de ce rendez-vous une fête. Cela au sens mexicain du terme, car si la grande faucheuse n’a pas plus – ni moins – de place dans leur Borderless que dans n’importe quel spectacle de cirque, le duo de main à main fait dans ce premier spectacle une célébration autour d’un sujet grave : la frontière américano-mexicaine, lieu de violences accrues depuis l’arrivée de Donald Trump à la tête des États-Unis.
C’est parfaitement imbriqués, emmêlés, que nous apparaissent Blanca et Sébastien. L’acrobatie, dans cette entrée en matière, est instrument d’harmonieuse transformation : grâce à cette discipline qui les a fait se rencontrer il y a sept ans au Centre National des Arts du Cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne, les deux artistes forment un même corps mouvant. Un organisme secoué par des impulsions, des soubresauts qu’on imagine en connexion directe avec une nature encore épargnée par l’activité humaine. Cette entente ne dure pas. D’abord infimes, puis de plus en plus évidentes, des tensions commencent à animer la créature bicéphale. Les visages, les peaux, les corps des deux artistes apparaissent alors dans toutes leurs différences. Plus les deux artistes avancent dans leurs complexe chorégraphie de membres enchevêtrés, plus ils s’approchent de la description qu’ils font d’eux-mêmes dans leur dossier : « une salsera mexicaine et un grand nageur franco-américain ».
Sur le terrain de l’Espace Cirque d’Antony, la pluie s’en est mêlée juste à la mi-temps : lorsque les corps se séparent derrière une frontière tracée à la craie sur le plateau. Une fois le déluge terminé, et passée la présentation d’une saison sous le signe du merveilleux par le directeur Marc Jeancourt, Seb & Blanca ont pu reprendre les hostilités comme si de rien n’était. La capacité du couple à passer de la fusion à la baston, et à déployer dans les deux registres un langage complexe, est d’autant plus étonnante qu’elle s’exprime en toute simplicité. Sans la pluie, nul doute que la poésie reptilienne de la première partie de Borderless aurait tout naturellement basculé sur l’humour de la seconde partie, nourri notamment par l’énergie et les techniques du Lucha Libre, catch acrobatique très populaire au Mexique. Lorsque Blanca enfile son masque de lutte, le plateau devient arène. Avant de se transformer en piste de danse lorsque, une fois Sébastien vaincu et assommé, Blanca se met à danser seule une salsa endiablée. La séparation est consommée. Elle permet aux deux artistes de s’éloigner par moments du main à main pour mieux y revenir, chargés d’éléments étrangers à cette discipline.
Dans leur duel, les deux artistes convoquent tous les clichés relatifs à leurs cultures respectives. Borderless est ainsi une sorte de carnaval où ponchos, cactus gonflables, masque de Lucha Libre, sombrero et piments côtoient allègrement un déguisement de western, une tenue de football, des pompons de pom pom girls et autres fleurons de la culture américaine, avec les attitudes qui vont avec. La violence et l’absurdité de la politique américaine envers le Mexique, symbolisée par le projet de construction d’un mur né sous George W. Bush en 2006 et exhumé par Donald Trump, n’a guère besoin d’être formulée par Blanca et Sébastien. Moins naïfs qu’il y paraît, leurs jeux disent autant que les balançoires installées l’an dernier sur la frontière par deux professeurs d’architecture de l’Université de Californie à Berkeley. Le cirque, pour Seb & Blanca, est un costaud briseur de frontières.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Borderless
De et par Blanca Ivonne Franco et Sébastien Davis-VanGelder
Son : Philippe Perrin
Regard Exterieur : Guy Alloucherie
Production et Administration : La Pepiniere Premiere Pas du Plus Petit Cirque du Monde
Durée : 50 mins
Le Carré Magique, Lannion (22)
Les 15 et 16 janvier 2021
Cirque Théâtre d’Elbeuf (76)
Du 21 au 23 janvier 2021
Festival Circonova, Briec et Penmarc’h (29)
Les 26 et 27 janvier 2021
Domaine d’O, Montpellier (34)
Du 3 au 5 février 2021
Manège de Reims (51)
Le 13 février 2021
Festival Spring, Granville (50)
Le 19 mars 2021
Festival Spring, La Hague
Le 27 mars 2021
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