Avec Notre Dernier Voyage, Jean-Philippe Renaud et Marc Tourneboeuf rendent hommage au comédien-globe-trotter. Des Philippines au Chili, ils retracent, tout en finesse et sensibilité, les pérégrinations d’un homme en quête de lui-même.
Au tournant des années 2000, Bernard Giraudeau triomphe. A l’affiche de Becket ou l’amour de Dieu d’Anouilh, il fait, au côté de Didier Sandre, les beaux soirs du Théâtre de Paris. A l’aise sur le plateau, le comédien vit un supplice dans la coulisse. Perclus de douleur, il apprend bientôt, au fil des examens, qu’il est atteint d’un cancer du rein. Un mal qui, dix ans plus tard, un jour de juillet, l’emportera. Cette décennie, l’acteur l’a mise à profit pour se recentrer, ralentir sa cavalcade professionnelle, et se mettre en quête de lui-même. Sans délaisser totalement les plateaux de cinéma et de théâtre, il s’adonne à l’écriture, et signe plusieurs livres, récits, correspondances et romans, inspirés par ses carnets de voyage en Amazonie, au Chili et aux Philippines, dont il avait aussi tiré, quelques années plus tôt, une série documentaire (La Transamazonienne, Un ami chilien, Chili Norte – Chili Sur, Esquisses Philippines).
C’est dans ses traces que Jean-Philippe Renaud et Marc Tourneboeuf s’inscrivent aujourd’hui pour rendre hommage à l’insatiable voyageur qu’il était. A partir de ses romans Les Dames de nage et Cher amour, combinés à quelques textes de Laure Renaud, le comédien et le metteur en scène orchestrent un Dernier Voyage aux confins de l’Altiplano chilien et des bordels de Manille. Dans une adresse à une mystérieuse Madame T., symbole de l’amour absolu, l’homme, plutôt que de décrire les merveilleux paysages, conte les rencontres avec ces êtres qu’il a croisés ou inventés en chemin. Sous son regard, toujours empli de bienveillance, se dévoilent Diego, un homme qui se refuse au bonheur, Marco, un jeune transgenre qui préfère annoncer à sa mère sa propre mort plutôt que de lui avouer qu’il est devenu Marcia, et quelques prostituées philippines piégées dans la misère des bidonvilles. Le tout au gré d’allers-retours avec son histoire, celle d’un homme malade qui vit, se bat, mais se sait condamné.
Seul en scène aux commandes de ce substrat en clair-obscur, Jean-Philippe Renaud aurait pu emprunter la voie du pathos. Au contraire. Sans complètement se priver de la carte de l’émotion, il met en relief les contours les plus lumineux et poétiques de ces mots venus d’outre-tombe. Habilement dirigé, il donne corps et âme à ces parcours humains, dont certains, notamment celui de Marcia, saisissent plus que d’autres. Malgré un léger manque de rythme, qui se gommera sans doute avec le temps, sa performance profite de la mise en scène tout en subtilité de Marc Tourneboeuf. Avec quelques voix off, quelques extraits vidéo, et nombre de lumières bien senties, il tricote un cocon idéal pour valoriser, sans écraser, la parole de son comédien. A l’heure de la distanciation physique, Jean-Philippe Renaud s’offre même un geste « ultra-transgressif », celui de danser quelques secondes avec une spectatrice. Façon pour lui de suivre les pas de Bernard Giraudeau et de remettre, sans doute, un peu d’humanité dans cette période troublée.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Notre Dernier Voyage
d’après Cher amour et Les Dames de nage de Bernard Giraudeau et avec des textes de Laure Renaud
Mise en scène Marc Tourneboeuf
Adaptation et interprétation Jean-Philippe Renaud
Avec les voix de Ingrid Lefrançois, Jeanne Pajon, Alexiane Torres, Osvaldo Torres, Marc Tourneboeuf
Montages vidéos et création Basile Alaïmalaïs, Marc TourneboeufDurée : 1h10
Théâtre Transversal
du 7 au 26 juillet 2022 à 18h15
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