Avec dynamisme, élégance et quelques facilités d’écriture, Benoit Solès redonne ses lettres de noblesse au mathématicien Alan Turing. Immersion dans la vie de ce génie bafoué, La Machine de Turing réussit efficacement son entreprise de réhabilitation.
Alan Turing fait partie de ces héros que l’Histoire a préféré laisser dans l’ombre, à qui, de son vivant, peu de gens ont pu rendre grâce. Pourtant, ce mathématicien de génie a été l’un des artisans de la victoire des Alliés lors de la Seconde guerre mondiale. Plus à l’aise avec les équations indéchiffrables qu’avec ses semblables, il a grandement contribué à mettre au point une « bombe » informatique en mesure de décoder les messages chiffrés par Enigma, cette puissante machine électromécanique qui encryptait les communications de l’armée allemande et donnait les moyens à ses états-majors d’échanger en toute discrétion.
Classée secret défense jusqu’en l’an 2000, cette mission n’a jamais permis à Alan Turing, aujourd’hui considéré comme l’un des pères scientifiques de l’informatique et de l’intelligence artificielle, de récolter les lauriers qui lui étaient dus. Pis, il fut condamné à la castration chimique en 1952 pour « indécence manifeste et perversion sexuelle », autrement dit pour homosexualité. Retrouvé mort, deux ans plus tard, empoisonné au cyanure, il ne sera gracié à titre posthume par la reine Élisabeth II qu’en 2013.
A ce génie bafoué, Benoit Solès a décidé d’offrir une autre forme de réhabilitation, théâtrale cette fois. Fidèle à la réalité, bien qu’un brin romancée, La Machine de Turing prend l’année 1952 comme point de départ pour naviguer dans la vie et l’œuvre du mathématicien, de son adolescence marquée par la mort de son ami Christopher Marcom à l’élaboration du « test de Turing », de son acharnement professionnel quasi obsessionnel à sa relation tumultueuse avec son amant Arnold Muray. Salutaire, l’entreprise est biographiquement efficace et dramaturgiquement rythmée, mais le texte cède parfois à de regrettables facilités d’écriture, à des traits d’humour dont les ficelles sont si visibles qu’elles en deviennent inutiles.
Des écueils en grande partie contrebalancés par l’élégante mise en scène de Tristan Petitgirard. Avec un écran comme pivot central, capable de faire naviguer l’espace scénique dans le temps, il dirige d’une main énergique ses deux comédiens. En Alan Turing multifacette, à la sociopathie aussi intense que son intelligence est brillante, Benoit Solès mène une danse où Amaury de Crayencour ne démérite pas, pris dans le tourbillon de sa palette de personnages. Ne manquaient que quelques grammes de finesse et de subtilité supplémentaires à ce duo pour lui permettre de totalement sublimer « l’histoire vraie de cet homme qui a changé le monde ».
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Machine de Turing
de Benoit Solès
Mise en scène Tristan Petitgirard
Avec Benoit Solès et Amaury de Crayencourt
Décor Olivier Prost
Lumières Denis Schlepp
Costumes Virginie H.
Vidéo Mathieu Delfau
Musique Romain Trouillet
Assistante mise en scène Anne Plantey
Production Label Compagnie, Atelier Théâtre Actuel, Acmé, Fiva Production
Avec le soutien du conseil régional d’Île-de-France, des villes de Draveil et de Serris
Durée : 1h20à partir du 20 août 2020
au Théâtre Michel
Du mardi au samedi à 21h
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