A la Comédie-Française, le metteur en scène livre une version fidèle et limpide, élégante et délicate, de l’ultime pièce de Tchekhov, sans toutefois parvenir à en restituer tout le sublime.
Sur le plateau de la salle Richelieu de la Comédie-Française, la Cerisaie parait telle qu’en elle-même. Centrale et imposante, tutélaire et écrasante. Le décor massif conçu par Aurélie Maestre semble matérialiser ce que ce lieu obsédant représente dans l’espace mental des personnages en présence, telle la relique d’histoires et de l’Histoire qui ne passent pas. Si Lioubov n’y avait pas mis les pieds depuis cinq ans, cette demeure n’a pas quitté son esprit tant elle lui est consubstantielle, comme berceau de ses ancêtres et tombeau de son fils, Gricha, qui, à l’âge de sept ans, s’est noyé dans la rivière en contrebas. Symbole pour son frère, Léonid, d’une enfance à jamais révolue et d’un paradis en passe d’être perdu, elle revêt un tout autre enjeu aux yeux de Lopakhine. Devenu riche marchand, ce fils de moujiks pourrait, pour peu que le domaine à vendre tombe dans son escarcelle, tenir sa revanche et devenir le nouveau maître de cette maison, où même la cuisine était, en leur temps, interdite à ses parents. Aveuglé par son projet de transformer l’endroit, chemin de fer aidant, en haut-lieu de villégiature pour les estivants, il considère à peine Varia, pour qui la Cerisaie, qu’elle s’échine à entretenir, devient l’emblème de l’impossible concrétisation d’un amour, alors qu’elle incarne, pour le pauvre Firs, qui ne cesse de regretter le temps du servage, la décadence d’une société russe désormais trop libre à son goût.
Cet aréopage hétéroclite, aux aspirations souvent contradictoires, rarement complémentaires, Clément Hervieu-Léger le caractérise avec la minutie qu’on lui connait. Comme il avait déjà su le prouver avec deux autres maîtres, Molière (Le Misanthrope) et Goldoni (Une des dernières soirées de carnaval), sans oublier Marivaux (Le Petit-Maître corrigé) et Lagarce (Le Pays lointain), le metteur en scène, armé d’une fine lecture de cette ultime pièce de Tchekhov, se révèle en mesure de charger chacun des personnages des enjeux dont ils sont les dépositaires, en même temps qu’ils les dépassent. Sous sa houlette, toujours matinée de délicatesse et d’élégance, la lutte sociale entre la noblesse déliquescente, campé par Lioubov et Léonid, et la nouvelle bourgeoisie triomphante, représentée par Lopakhine, se fait à bas bruit, de façon presque larvée, à travers le mépris que les premiers éprouvent pour le second, quitte à refuser la main qu’il ne cesse de leur tendre. Ce dédain, ou plutôt ce dégoût, Clément Hervieu-Léger le traduit subtilement dans des regards, régulièrement dépités, et dans des intonations, singulièrement hautaines, qui replacent Lopakhine au rang du moujik qu’il figure, envers et contre tout, dans l’esprit de ses congénères.
D’une fidélité et d’une précision sans failles, sa mise en scène accouche d’une version limpide de l’œuvre, où, et c’est suffisamment rare pour être souligné, l’humour intrinsèquement présent parvient parfois à prendre le dessus sur la mélancolie propre à un monde en voie d’abolition. Surtout, elle ménage de l’espace aux comédiens de la troupe du Français, en qui Clément Hervieu-Léger a visiblement toute confiance, pour qu’ils fassent, sans pour autant les trahir, les personnages à leur main, comme si l’incarnation était affaire de rencontre plutôt que de possession. A cette aune, le Lopakhine de Loïc Corbery est plus affable et sympathique que le rustre ambitieux auquel on nous avait habitués, tandis que la Lioubov de Florence Viala est plus tempérée, moins cyclothymique, pour ne pas dire hystérique, que celle que l’on voit à intervalles réguliers. A l’avenant, le reste de la distribution, d’Eric Génovèse à Adeline d’Hermy, d’Anna Cervinka à Michel Favory, joue du même tact et de la même mesure. Reste que, aussi belle et juste soit-elle, cette tempérance peine à générer, en toile de fond, cette ambiance proprement tchekhovienne, où se nichent l’âme et le sublime des chefs d’œuvre du dramaturge. Par sagesse, autant que par cérébralité, Clément Hervieu-Léger n’ose que rarement pousser les feux d’un texte qui regorge pourtant, y compris au détour d’une simple phrase, de joyaux cachés qui restent sous-exploités. Dès lors, si tout est clair et bien présent, l’émotion peine parfois à advenir et le plateau à s’enflammer, contrairement à ce qu’Alain Françon avait réussi à montrer, voilà quelques années, dans une mise en scène qui s’impose toujours comme l’une des références.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Cerisaie
d’Anton Tchekhov
Traduction André Markowicz et Françoise Morvan
Mise en scène Clément Hervieu-Léger
Avec Michel Favory, Véronique Vella en alternance avec Julie Sicard, Éric Génovèse, Florence Viala, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka, Rebecca Marder, Julien Frison, et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Joufroy, Emma Laristan
Scénographie Aurélie Maestre
Costumes Caroline de Vivaise
Lumière Bertrand Couderc
Musique originale Pascal Sangla
Son Jean-Luc Ristord
Travail chorégraphique Bruno Bouché
Collaboration artistique Aurélien Hamard-Padis
Assistanat aux costumes Claire FayelDurée : 2h15
Comédie-Française – Salle Richelieu
du 31 octobre 2022 au 30 janvier 2023
Très bon moment, finesse des décors et costumes, mais les acteurs restent timides et quelque part académiques. Du sentiment ! Qu’ils plongent dans leurs rôles et qu’on retrouve l’âme russe !
Quelle déception !
Sans saveur et de surcroît inaudible.
Très inquiète pour mon audition je pense sincèrement me faire tester. Mais après avoir questionné d’autres spectateurs à la station de taxis me voilà rassurée!
C’est difficile de s’intéresser à la pièce lorsque l’on capte un mot sur 3.
Je précise que j’étais assise en Corbeille catégorie B.