Après L’affaire de la rue de Lourcine présenté cette saison à la Maison de la Culture, Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, artistes associés à la MCA, reviennent, dans un tout autre registre avec « Ciseaux, papier, caillou », une pièce de l’Australien Daniel Keene. Ce poème dramatique conte l’histoire de Kevin, un tailleur de pierre au chômage, qui vit avec sa femme, sa fille, son ami et un chien. Sa vie bascule, il se sent trahi… La pièce laisse percevoir comment l’être humain, lorsqu’il est dépouillé de tout, est capable de se débattre pour rester digne et, d’une certaine manière, de faire acte de création en se créant lui-même. Pour incarner les personnages bouleversants de Keene, une formidable distribution a été réunie avec Carlo Brandt, Marie-Paule Laval, Camille Pélicier-Brouet et Philippe Smith.
« L’origine de la pièce est très simple; elle m’a été inspirée par l’expression que j’ai vue sur le visage d’un homme. Cet homme, je l’avais croisé à plusieurs reprises. Ses deux petits enfants, un garçon et une fille, fréquentaient la même école que le plus jeune de mes fils. J’attendais devant la grille de l’école pour récupérer mon fils à la fin de la journée. Cet homme, appelons-le K., attendait lui aussi. Il avait dans les quarante-cinq ans et portait une salopette grise. Il boitait légèrement. Nous nous sommes salués d’un signe de tête. Quand ses deux petits enfants ont franchi la grille en courant, il s’est penché et a pris la petite fille dans ses bras. Son fils s’agrippait à sa jambe. Tous les deux parlaient en même temps, racontant leur jour d’école à leur père. Il y avait beaucoup d’autres parents qui se pressaient autour de la grille. Deux femmes non loin parlaient justement de K. Elles avaient appris qu’il avait perdu son travail récemment. Les enfants continuaient de franchir la grille, s’agglutinant autour des adultes, riant, criant, courant, heureux que leur jour d’école ait pris fin. Quelqu’un derrière moi a lancé le nom de K. Il s’est retourné et j’ai vu sur son visage une expression difficile à décrire. Son visage paraissait terriblement nu, terriblement ouvert; rien n’y était dissimulé. Son expression était celle d’un homme à la fois innocent et vaincu, plein d’espoir et pourtant perdu. C’était l’expression d’un jeune garçon, mais pleine d’une espèce de lassitude et de résignation. Il se tenait là, au milieu d’un océan d’enfants, à côté des deux qu’il aimait, mais pour moi c’était comme si la plus infime rafale de vent pouvait l’emporter, qu’une averse suffirait à le dissoudre. Il avait l’air d’un homme aussi fragile que du papier. Son visage ensuite ne m’a plus quitté, pendant des semaines. J’ai même rêvé de lui. Dans mon rêve, il était seul, marchant quelque part, dans un lieu que je ne reconnaissais pas, vêtu de sa salopette grise, boitant légèrement. Je ne savais pas où il allait. Mais je me sentais obligé de le suivre. Mon plus vif désir quand j’ai commencé à écrire ciseaux, papier, caillou, c’était de créer un personnage dont on puisse dire que c’est “un homme bien”, quelqu’un dont la famille comptait plus que tout, qui était fier de pouvoir prendre soin d’elle. Quand un tel homme perd son travail, il perd beaucoup plus que ça. Il perd le sens de ce qu’il vaut, il perd la réalité qui le définit. Il doit essayer de se recréer. Comment peut-il faire ça ? De quels outils dispose-t-il? Il doit s’atteler à la tâche les mains vides. Il doit créer quelque chose à partir de rien, c’est du moins ce qu’il doit ressentir. Je voulais que le tailleur de pierre de ciseaux, papier, caillou ressemble à K., mais pas littéralement; je voulais que le tailleur de pierre soit aussi nu et fragile, aussi innocent, aussi perdu. Je voulais créer quelque chose qui donne un sens à cette expression que j’avais vue si fugitivement sur le visage de K., une expression qui me semblait raconter l’histoire de sa vie ». Daniel Keene. Extrait d’un entretien réalisé à l’occasion de la création, en portugais, de « ciseaux, papier, caillou » au Teatro Municipal de Almada à Lisbonne, en avril 2007). Traduction Séverine Magois
Ciseaux, papier, caillou
de Daniel Keene
traduction de l’anglais Séverine Magois
mise en scène, lumière et scénographie
Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma
costumes Olga Karpinsky
son Isabelle Surel
avec Carlo Brandt, Marie-Paule Laval
Camille Pélicier-Brouet, Philippe Smith
Production Maison de la Culture d’Amiens Centre de création et de production, Studio-Théâtre de Vitry, La Colline – théâtre national, Comédie de Reims – Centre dramatique national, Maison de la Culture de Bourges
Les œuvres de Daniel Keene sont publiées aux Éditions Théâtrales
Maison de la Culture d’Amiens
mardi 20 avril à 19h30
mercredi 21 avril à 20h30
jeudi 22 avril à 19h30
La Colline – théâtre national
15 rue Malte-Brun Paris 20e
du 5 mai au 5 juin 2010
du mercredi au samedi à 21h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
location: 01 44 62 52 52
du lundi au samedi de 11h à 18h30 et le dimanche de 13h30 à 16h30 (uniquement les jours de représentation)
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