Les Chroniques Pirates de la Compagnie En eaux troubles donnent beaucoup à découvrir sur la vraie histoire des pirates. Une utopie politique qui fait du bien dans un spectacle à la théâtralité généreuse.
Bandeau noir couvrant l’œil crevé, crochet en fer au bout du moignon et trésor enfoui sur une île perdue, la figure du pirate peuple notre imaginaire via des images de culture de masse. Revanche du capitalisme contre ceux qui ont défié ses lois en s’attaquant notamment aux navires de commerce ? C’est un peu ce qu’on se dit (même si ce serait un anachronisme) en sortant de ces Chroniques Pirates portées par la Compagnie En eaux troubles (un nom prédestiné pour le sujet…).
Mais qui étaient vraiment ces pirates que l’on présente le plus souvent comme des bandits sans foi ni loi, bagarreurs et soiffards ? Si l’on en croit ce spectacle mené sous la direction – écriture et mise en scène – de Paul Balagué, un peu tout le contraire des représentations les plus partagées. Marginaux, exclus volontaires ou forcés de la société, ils partagent un esprit communautaire, égalitaire, fondent des communautés précurseuses des utopies anarchistes, inventent un système qui préfigure notre Sécurité Sociale et s’opposent à l’oppression sociale qu’exerce la hiérarchie sur les marins et plus largement aux abus de pouvoir des États dominants, à commencer par ceux de l’Angleterre.
Chez les pirates, on partage ainsi les butins à parts équitables, on se répartit le pouvoir, on discute et l’on vote sur les décisions à prendre. Certes, on n’a pas peur d’aller au combat et on a même tendance à aimer ça mais on possède également un code moral. Tout cet envers du décor largement méconnu nous est révélé à travers l’histoire d’une bande de flibustiers réunis entre autres autour de John Rackham (oui, oui, celui qui inspira le fameux Rackham le Rouge de Tinitin) et naviguant dans les eaux caraïbéennes, avec pour refuge la fameuse République des Pirates de Nassau, éphémère expérience du début du XVIIIème, dans la ville devenue depuis capitale des Bahamas.
Des femmes ont pu se faire une place dans ces communautés aux aspirations égalitaires comme en attestent les vies de Mary Read et Anne Bonny également évoquées dans ce spectacle. Car dans Chroniques Pirates, l’histoire côtoie la fiction, les personnages réels d’autres inventés et, le spectacle avançant ainsi sur deux jambes, la vérité historique n’y exclut pas le folklore. A une dimension didactique parfois un peu envahissante se mêle ainsi le plaisir d’un théâtre simple et généreux que revendique la Compagnie en eaux troubles. Elle est passée par le Théâtre du Soleil et cela se sent. Goût du récit comme du jeu, les comédiens alternent l’évocation de cet âge d’or de la piraterie sur fond d’archipels caribéens et la mise en jeu de situations éminemment théâtrales. On est ainsi accueilli par des policiers, brassard orange et cagoule sur la tête qui nous enjoignent de nous asseoir. Scènes de mutinerie, de vague à l’âme au crépuscule ou de lendemains de bataille joyeux s’y succèdent ensuite, accompagnant cette bande de pirates à travers les vicissitudes d’une vie qui n’a pas peur de la mort et se défie des États qui font commerce des hommes et femmes et étendent leurs territoires à travers le monde.
L’histoire vue à travers des histoires intimes. Cela n’a certes rien de révolutionnaire et malgré son sujet, ce spectacle ne cherche pas à l’être. C’est du théâtre artisanal, de rapport de proximité avec le public, qui porte sa simplicité en étendard comme Jolly Rogers flottait en tête de mât. Une expérience joyeuse, parfois un peu flottante, mais attachante et politique.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Chroniques pirates
Une création commune de la Cie en Eaux Troubles
Avec et par Lucas Dardaine, Sylvain Deguillame, Antoine Formica, Alexandre Molitor (reprise du rôle créé par Ghislain Decléty), Sandra Provasi, June van der Esch
Écriture et mise en scène Paul Balagué
Assistance à la mise en scène Damien Babikian et Zoé Lenglare
Costumes Zoé Lenglare et Marie Vernhes
Scénographie Matthieu Le Breton
Lumières Lila Meynard
Musique Christophe Belletante
Stagière DMA costumes Esther Genoux
Communication Laureen Bonnet | Production – Admnistration Agathe Perrault
Production Cie en Eaux Troubles
Coréalisation Cie Public Chéri – Théâtre L’Échangeur Avec le soutien du dispositif Plateaux Solidaires d’Arcadi, du Grand Parquet, du Théâtre de la Tempête, des Tréteaux de France, de la Générale Nord-Ouest et du CENTQUATRE-PARIS. Avec l’aimable support et aide du Théâtre du SoleilDurée 1h50
MC93
du 9 au 18 décembre 2021
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