Épaulé par Judith Henry, le metteur en scène tente de réhabiliter la figure de la dernière reine d’Égypte, mais s’enferre dans un exercice de style d’une pauvreté confondante.
Il est des spectacles qui émerveillent ou étonnent, qui font enrager ou réfléchir, qui bouleversent ou provoquent. Cléopâtre in love ne fait pas partie de ceux-là, mais d’une catégorie bien à part, et heureusement plutôt rare, celle de ces pièces qui ne produisent aucun effet, tant elles sont creuses. Le projet de Judith Henry et Christophe Fiat semblait, pourtant, doté d’une idée originale. Après s’être intéressé aux figures de Cosima Wagner, Isadora Duncan, la Comtesse de Ségur ou Sissi, le dramaturge et metteur en scène a voulu s’emparer de celle de la dernière reine d’Égypte, un personnage historique devenu mythique.
Les deux artistes sont partis d’un postulat, hautement discutable : au fil des siècles, et des écrits ou œuvres des historiens romains, tel Plutarque, de Shakespeare avec Antoine et Cléopâtre et de Mankiewicz avec son célèbre film Cléopâtre, l’image de la souveraine aurait été écornée, altérée, voire contrefaite, et réduite à son statut de séductrice capricieuse et de croqueuse d’hommes de pouvoir. Oubliée la reine de fer, la cheffe de guerre et la stratège hors-pair. La domination masculine, qui se plaît, avec sa vision phallocentrée, à ternir l’aura des souveraines, aurait eu raison de la femme forte, qu’il serait urgent de réhabiliter.
Dans une atmosphère new age qui, à l’avenant de l’ensemble du spectacle, aurait mérité d’être davantage creusée, Christophe Fiat sort Cléopâtre de son tombeau. Avec la classe qu’on lui connait, Judith Henry se charge de la représenter, plutôt que de l’incarner, pour se retourner sur ces 2.000 ans d’histoire qui, sous les traits d’Elizabeth Taylor ou au gré de la plume shakespearienne, l’auraient malmenée. Sauf que l’exercice tourne à la compilation, à l’empilement maladroit de segments théâtraux qui, sans prise de hauteur particulière, se borne à la citation ou, pire, à la paraphrase d’éléments connus et reconnus – la liaison d’Elizabeth Taylor et de Richard Burton, le récit de la bataille d’Actium, la mort de Marc-Antoine et Cléopâtre…
Enfermé dans une écriture circulaire, l’ensemble mal ficelé se complaît en lui-même. Il donne l’impression d’être sans ligne directrice – pas même celle du féminisme que le duo réfute – et surtout de n’avoir rien à dire de plus que ce qui a déjà été écrit. Dans un exercice qui a tout du remplissage, Christophe Fiat, dont la présence scénique est aussi énigmatique qu’inutile, tricote et amalgame des éléments cosmétiques – des savonnettes Cléopâtre tombées du plafond à une compilation de chansons sur la souveraine, en passant par une sombre histoire d’archéologue spécialiste des ovnis qui cherche à localiser son tombeau protégé par des ondes électro-magnétiques. De tout cela, rien ne ressort, exceptée une grande vacuité. Même les paillettes dorées utilisées à outrance ont, dans ce spectacle, le goût de la poudre de perlimpinpin.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Cléopâtre in love
Avec Judith Henry, Christophe Fiat et la voix de Nicolas Bouchaud
Texte et musique Christophe Fiat
Mise en scène Judith Henry, Christophe Fiat et Claire Ingrid Cottanceau
Création lumière Stéphanie Daniel
Production déléguée Nouveau théâtre de Montreuil – CDN
Soutien Montévidéo, Créations Contemporaines – Atelier de Fabrique Artistique
Remerciements Théâtre Ouvert, Caroline Marcilhac, MacVal, Stéphanie Ayraud, Emma Bauer, Yannick Clery, Jérôme Pique, Leyli Daryoush, Laurent Jugel, La Comédie de Béthune, Théâtre de la Bastille
Durée : 1h10
Nouveau théâtre de Montreuil
Du 30 janvier au 22 février 2019Théâtre national de Strasbourg
Du 13 au 15 mars
Cher Vincent Bouquet,
Je ne signe pas seul la mise en scène de CLÉOPÂTRE IN LOVE contrairement à ce que vous écrivez. Nous sommes trois comme c’est dit dans le génerique de la pièce qui est à la suite de votre article (Judith Henry, Christophe Fiat, Claire-Ingrid Cottanceau). D’autre part, mon texte n’est pas composé de paraphrases comme on fait à l’école dans les mauvaises dissertations. C’est de l’art ou de la littérature comme vous voulez. Pour le reste, vous faites votre métier de critique et je fais le mien.
Christophe Fiat
C’ est un spectacle puissant et intelligent mais il faut bien dire que l’ entrée dans le sujet est plutôt fastidieuse avec cet archéologue : texte long et ennuyeux qui casse l’ accroche , il faudrait sans doute user de moyens scéniques pour arriver au sujet..La mise en scène s ‘ avère par la suite plus que convaincante , subtile et talentueuse ;l’ interprétation quant à elle laisse perplexe :Cléopâtre , image très maîtrisée par Judith Henry mais la présence de Christophe Fiat n’ est jamais assurée ni justifiée , Le regard de ce dernier affirme au demeurant sans conteste une connaissance et une réflexion riches d’ intention.
Il pourrait y avoir plusieurs hommes sur le plateau ou aucun.Avis de spectatrice.