On parle de lui pour occuper le poste d’administrateur de la Comédie-Française. Il ne s’en cache pas, il aimerait bien rejoindre la place Colette. Mais il n’ira pas quémander pour autant. Celui qui se voit comme l’un des derniers des mohicans, défenseur d’un théâtre populaire « à la française », n’est peut être pas dans les petits papiers du Ministère de la Culture qui préfère des metteurs en scène plus en prise avec leur siècle. Lui le modernisme il n’en a que faire. En témoigne sa dernière mise en scène au TNP de Villeurbanne avec le grand Serge Merlin. Dans la plus pure tradition des Vilar, Vitez. S’il ne déménage par à Richelieu cet été, il lui restera deux ans de mandat au TNP avant de céder sa place. Rencontre avec le fougueux et passionnant Christian Schiaretti.
Dans ce Roi Lear, vous partez d’un plateau nu pour le salir de terre et de sang
C’est un plateau qui représente une scène élisabéthaine stylisée avec un arc de cercle, de façon à ne pas être gêné avec une décor qui raconterait plus que les mots de Shakespeare. Il faut monter Shakespeare comme on le lit. Il ne faut pas plus de deux ou trois secondes entre deux scènes avec un décor dynamique et dépouillé. Il faut rester au ras des mots et au ras de l’action. Shakespeare est vif. C’est une écriture populaire car elle alterne des scènes drôles, des scènes tragiques, des scènes dramatiques. Et avec cette nudité du départ, on fait des choses simples. On fait tomber de la terre qui va constituer l’embourbement de cette société caduque.
Et l’on sent bien le côté rugueux et aride de la lande
Oui c’est sensuel. Shakespeare c’est concret. Il faut se nourrir du suc et des métaphores du texte. Ici la nature fait écho au climat intérieur de Lear. La folie de Lear correspond à un orage biblique avec cette volonté de noyer cette société caduque. Il voudrait l’emmener avec lui. Un des secrets de l’œuvre est matriciel. Il n’y a ni mère, ni enfant. Il est dans un couple constant avec ses filles.
Est ce que c’est une pièce difficile à aborder pour un metteur en scène ?
C’est une pièce chaotique. La grande difficulté est la rendre claire et de faire que les gens soient en apnée et que les arias soient enchâsses dans quelque chose d’actif. Et du coup il y a de l’enthousiasme dans le public. Cela tient bien évidemment à Serge Merlin qui est dans la réalité de son rôle comme on le voit rarement sur un scène. Il a l’âge du personnage. On est là devant un phénomène.
Vous faites jouer les acteurs très proches du public. Pourquoi ?
Serge Merlin étant dans un principe de vérité. Il travaille dans le présent et dans le rapport direct avec le metteur en scène. Donc pour travailler je me suis mis au premier rang, et j’ai été captivé, et donc je demandais sans arrêt aux acteurs de descendre et du coup ils jouent à 30 cm des spectateurs. On ramène constamment la représentation sous le nez du public. Avec un tel acteur, c’est un vrai plaisir.
Finalement ce Lear n’est pas si fou que cela ?
C’est aussi un voyant. La folie est un état possible d’une voyance. Shakespeare n’arrête pas de truffer son délire d’allusions à la réalité. La folie est exprimée dans les mots et dans la douleur. On frise l’Alzheimer avec une perte du réel et de la mémoire. Il porte l’expression d’une douleur.
Le public est debout tous les soirs pour acclamer la troupe et Serge Merlin. Vous le prenez pour un compliment ?
Oui pour le travail de toute l’équipe. La dernière fois que cela s’est produit dès la première c’était pour La Dispute dans la mise en scène de Patrice Chéreau. Et puis le public salue surtout la performance de Serge Merlin qui a 80 ans est dans une dépense et dans une générosité telle que cela force le respect. Il offre du partage et du bonheur. La salle se lève pour lui offrir son respect. Cela me réconcilie avec l’avenir.
Finalement vous aurez du mal à la quitter ce TNP si l’avenir pour propulse à la Comédie-Française ?
On en parle oui. Mais je pense que l’on n’a pas à déposer de dossier pour la Comédie-Française. C’est une force symbolique énorme dans le théâtre français. Elle opère une transcendance sur notre métier. Et elle est dialogue avec les visées les plus hautes en matière d’art et en matière de littérature. Donc je pense que l’on doit répondre à une sollicitation. Elle doit se faire au travers d’une lecture du métier et de ce qu’il veut dire. J’attends une demande, je ne vais pas arriver avec un dossier en disant j’ai un projet pour la Comédie-Française. Et puis il faut d’abord savoir ce qu’il advient de l’actuelle Administratrice. C’est douloureux de quitter un théâtre et d’arriver à une échéance de mandat et je pense qu’il est saint de se poser ce type de questions. Il faut trouver un metteur en scène qui a la culture du répertoire, qui aime la troupe, qui aime l’alternance et qui revendique un rapport à la langue française de grande tenue. C’est un théâtre merveilleux, unique.
C’est un peu votre profil, non ?
C’est clair. Mais je ne suis pas le meilleur candidat dans l’ambiance dominante du théâtre public. Mais on peut choisir aussi à l’intérieur avec la nomination d’un sociétaire. En tout cas c’est une décision régalienne. J’ai la tête calme. Si on me le propose, j’y répondrai avec la militance qui est la mienne. Mais je le ferai d’abord sur un signe et une consultation. Mais pour l’instant ce n’est pas le cas. Je pense que le pire serait de nommer quelqu’un comme on peut le faire dans un outil public avec un dossier et une sorte de respiration révolutionnaire. Il faut être un peu plus élevé que cela. Et les stratégies de couloir sont dangereuses. Je suis heureux où je suis. Maintenant je suis appelé à partir en 2016 puisque c’est la volonté affichée. C’est vrai que c’est une douleur car ce n’est pas un métier où l’on vieillit c’est un métier où l’on mûri. C’est un mauvais calcul. Le théâtre n’est pas le lieu des règles, il est le lieu des exceptions. Si on pense en fonction des règles on finit par obéir à un égalitarisme et à une démocratie qui peut ressembler à une médiocratie. Au fond le projet de la Comédie-Française c’est le projet de la République.
Propos receuillis par Stéphane CAPRON
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