Le TNP – Théâtre National Populaire créé en 1920 à Paris au Trocadéro du temps de Firmin Gémier, puis transféré en 1972 à Villeurbanne sous la direction de Roger Planchon vient de subir d’importants travaux de rénovation qui ont duré quatre ans. Le bâtiment a été totalement modernisé et répond à toutes les normes de sécurité. C’est un renaissance pour cette institution française dirigée depuis fin 2001 par le metteur en scène Christian Schiaretti qui inaugure les nouveaux locaux avec Ruy Blas de Victor Hugo. Il a souhaité inscrire cette nouvelle page de l’histoire du TNP dans le patrimoine de cette institution.
Vous bénéficiez d’un outil magnifique. Est-ce que c’est l’un des plus beaux théâtres de France ?
C’est encore plus beau que la Comédie-Française ! On concentre sur un seul lieu deux salles de spectacle, et quatre salles de répétition qui peuvent s’ouvrir au public. Je ne sais même pas si ce n’est pas un des plus beaux lieux en Europe. Dans son esthétique il a bénéficié de l’histoire du lieu de création dans les années 30. Il allie l’élégance et la démocratie. Tout est simple et à disposition. Les matériaux ne sont pas luxueux. Ils sont utilisés dans leur rusticité. C’est le résultat aussi de l’histoire de Roger Planchon qui a installé dans une commune ouvrière en 1972 un lieu théâtral dans le centre de la commune, en face de l’hôtel de ville. C’est assez rare. Mon travail a été de remettre l’ensemble de l’aventure de Planchon, qui a duré trente ans, dans le chainon historique du TNP.
Donc vous raccrochez Vilar à l’histoire de théâtre d’aujourd’hui ?
Au delà de Vilar, je raccroche aussi à Firmin Gémier. Si on a ouvert le 11/11/11, c’était une référence au 11 novembre 1920, date de l’ouverture de l’aventure du Théâtre National Populaire par Firmin Gémier qui était issu d’une réflexion forte sur un théâtre destiné au peuple. Le TNP c’est un projet esthétique, ce n’est pas simplement une philanthropie..
Et dans l’esthétisme, ce que l’on remarque dans la conception de la restructuration, c’est qu’elle très simple…
C’est ça le populaire. On enlève le gras. C’est même ça le luxe. Les bourgeois le savent très bien. Le fin du fin, c’est d’arriver à la chose. Les travaux ont couté 32,8 millions d’euros pour une surface de 15 000 m2, cela revient à 1600 euros le m2. Ce qui est très peu. On a été obligé de travailler sur le mieux avec peu. C’est un signe envoyé au public : un raffinement accessible. On est dépositaire de l’argent public, on le restitue dans l’élégance mais pas dans le dispendieux.
Le théâtre est baigné dans sa mémoire, il y a partout des photos qui rappellent l’histoire….
J’ai connu ici quatre périodes. La première a été la passation en douceur avec Roger Planchon, ensuite il a fallu réorganiser la maison en la rajeunissant. Ensuite il a fallu trouver la légitimé artistique, et cela n’a pas été facile. Mes ainés ont traversé des époques de haut talent, moi je traverse une époque de bas talent. La quatrième période a été celle des travaux. Et la cinquième est d’assurer la succession. Il ne s’agit pas de choisir comme un roi son prince, je suis serviteur de la République. Je ne suis pas propriétaire du lieu. C’est de faire de ce lieu, une éducation commune entre les élus et le public. Donc on a organisé une exposition permanente qui est figée dans le lieu et liée à la mémoire de l’histoire du TNP.
Qu’est ce que le théâtre populaire aujourd’hui ?
C’est ce poser la question de l’achèvement de l’œuvre proposée au plateau par une salle contradictoire. Le théâtre populaire n’est pas le théâtre prolétarien. Ce n’est pas non plu un théâtre de la populace. Il procède d’un rapport citoyen dans lequel l’accomplissement de l’œuvre se fait par l’intelligence des oreilles au nom de l’intelligence des voix avec le mélange des publics et des œuvres qui expriment le côté composite de l’écoute. De ce côté-là, Hugo est formidable. On avait fait un petit concours pour que des gens nous donnent une définition du théâtre populaire et quelqu’un nous avait dit : « c’est un transport en commun ». C’est assez juste. On est transporté. C’est la réunion d’une communauté contradictoire qui à un moment donné, dans un lieu commun, au nom d’une élévation collective de l’âme, écoute une œuvre. C’est ce qui s’est produit quand Mahmoud Darwich est venu lire des textes en arabe avec à ses côtés Didier Sandre. Les publics se sont mêlés au nom de l’élévation collective. Le tout dans la convivialité et dans l’égalité. Lorsque tout le monde parlera en alexandrins à Villeurbanne la vie sera délicieuse !
Est-ce que les metteurs en scène d’aujourd’hui qui travaillent sur des esthétiques très contemporaines participent de ce théâtre populaire ?
Cela dépend. On va dire en gros que la contemporanéité n’exclue pas le soucis de la création. Lorsque j’ai cheminé avec Alain Badiou on a cherché à poursuivre son travail sur la figure diagonale contemporaine commencé chez Vitez. La question ne porte pas sur la qualité du répertoire. La réflexion porte sur la relation avec la République dans les contrats que l’on signe. Le projet n’est pas celui du metteur en scène, c’est celui de la République. J’ai coproduit des textes difficiles comme ceux de Valère Novarina, Chez Valère il y a un souci du partage et de la main tendue. Aujourd’hui ça fait un peu ringard de se poser ces questions là. Je sais qu’il peut y avoir un lecture ringarde de monter du Hugo qui respecte l’alexandrin. Chez Hugo le respect du vers est une optique. Donc j’interdis qu’un acteur ajoute un « hein » à la fin d’un vers. L’ensemble de l’histoire est tenue par une ambition de forme comme en musique. Et cela peut être populaire.
Vous souhaitez aussi inscrire le TNP dans un répertoire…
C’est un dialogue implicite avec le public. Il n’y a pas de « théâtre de répertoire » dans les théâtres publics. On fait la retape. Il y a des sortes de représentants de commerce qui disent « c’est génial venez-voir ». Ici il y a un million d’habitants ici dans l’agglomération, 14 000 spectateurs auront vu Ruy Blas. J’ai effleuré le pédoncule. On fidélise le public et les acteurs. J’ai la moralité de la billetterie. J’ai eu la chance de travailler avec Laurent Terzieff. Je ne l’ai jamais vu aller jouer sans vérifier s’il y avait du « bureau » ou pas. Il était très sensible à la billetterie. Il est bon de continuer à avoir un dialogue avec le public. Le succès amène le succès. Il ne faut pas jeter les œuvres, les reprendre. C’est comme le vin, ce qu’il faut développer ce n’est pas une vérité, c’est un goût. Donc j’ai monté Shakespeare, Hugo, Brecht..Mais je pense retravailler avec Alain Badiou et lui passer commande d’un texte. Il me manque. Et je vais continuer à travailler avec Denis Genoun ou Jean-Pierre Siméon, ce n’est pas contradictoire avec le répertoire car il reste la langue. C’est le plus important.
Ruy Blas est coproduit avec les Tréteaux de France. Deux institutions se retrouvent cette création.
D’abord ce sont deux amis. Quand Robin Renucci a candidaté aux Tréteaux il m’a proposé un cheminement avec le TNP. J’ai répondu trois fois oui. J’avais une histoire avec Jean Daney. Il m’avait pris sous son aile. Il pensait que je pouvais diriger les Tréteaux. Et puis Robin a été mon ami au Conservatoire, on a fait des lectures sur Jacques Copeau, et puis il pouvait jouer Don Salluste et ainsi assurer un compagnonnage entre nos deux troupes. C’est l’esprit du TNP. Et avec Robin c’est formidable d’avoir un directeur-acteur qui mouille la chemise.
Et dans ce compagnonnage dans la distribution figurent Jacques Monod et Isabelle Sadoyan..
C’est la coquetterie ultime. Ils ont 83 et 84 ans ! C’est important d’avoir des acteurs âgés. Isabelle Sadoyan est l’actrice « planchonienne » par excellence. Elle est la mémoire du TNP à Villeurbanne. Et Roland Monod a joué avec Vilar. Les deux jouent des clowns, c’est formidable.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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