Maïa et Alicia entrent en 4ème. Elles sont inséparables, mais séparées, car pas dans la même classe cette année-là. Tandis que l’une s’adapte avec aisance, l’autre peine à trouver sa place. Et le poids de ses angoisses se met à rivaliser avec celui de son sac à dos. Cédric Orain imagine une petite forme dynamique qui tire sa force de dialogues ciselés et justes qu’endossent deux jeunes comédiennes très inspirées, au plus près du public.
Une fois n’était pas coutume, il s’était adressé il y a quelques années au jeune public avec Enfants sauvages, spectacle de toute beauté qui mixait plusieurs histoires vraies de cas d’enfants découverts à l’état sauvage et questionnait en creux notre humanité profonde à l’aune d’un univers de conte. Cette fois, c’est à l’adolescence que Cédric Orain renvoie un miroir d’une infinie justesse et sans passer par l’onirisme de la fable. Habitué à embrasser la parole des auteurs, qu’ils soient dramatiques ou philosophiques, le metteur en scène engage depuis quelque temps déjà une voie d’écriture personnelle où ses motifs de prédilection – le corps et le langage pour le dire vite – tressent un chemin de pensée autant qu’un geste scénique sûr et discret. Pas de frime ni de poudre aux yeux dans son travail, il s’en dégage l’évidence d’une démarche aussi rigoureuse que sensible, à l’écoute des autres, de nos travers et de nos faiblesses. La délicatesse de son regard ne se dément pas ici. L’approche est aussi minimaliste que réaliste. Le Journal de Maïa est un spectacle tout-terrain, une petite forme de proximité qui peut jouer partout et surtout en milieu scolaire. Ce qui lui va bien car son terreau, c’est le collège.
Maïa et Alicia entrent en 4ème, la boule au ventre. Maïa en particulier, qui a déménagé depuis peu, se retrouve dans une classe sans sa meilleure amie, avec une prof de français au carré qui leur tartine du Chateaubriand dès la rentrée. Maïa est aussi torturée et anxieuse que son amie est solaire et boute-en-train, et le binôme fonctionne du tonnerre, porté par deux comédiennes tout feu tout flamme. Déjà repérée récemment dans L’Infâme où elle brillait dans un autre duo, Louise Bénichou incarne Maïa sur le fil de l’intensité contenue et de l’émotion fébrile. Tandis que Marion Brest campe une Alicia électrique et malicieuse. Les deux sont formidables, totalement crédibles en ados mal dégrossies, habitant leur corps dans un mélange de désinvolture et d’énergie brute, de relâchement et d’hyperactivité. Les mains accrochées aux bretelles de leur sac à dos, face public, elles nous embarquent en une seconde dans ce dialogue amical qui s’inscrit dans le temps scolaire. À elles deux, elles forment une paire aussi différente que complémentaire, complice et dynamique, qui rythme des scènes en duo ou en solo gonflées à la punchline digne de leur âge, tout en n’évitant pas le sujet de fond, malheureusement partagé par toute une génération : l’anxiété chez les adolescents. Celle de Maïa grandira sans même qu’elle ne la conscientise avant que l’angoisse ne la paralyse complètement au point de ne plus pouvoir venir en cours. L’évènement est une micro déflagration aux vertus salutaires. Car il vaut mieux dire que de se taire.
Une fois de plus, Cédric Orain prouve sa capacité à viser juste, à entrer en porosité avec une autre génération que la sienne, à se faire la chambre d’écho de ses maux. L’humour n’est jamais loin, niché en embuscade dans l’œil qui frise d’Alicia, sa vivacité et son besoin de relativiser à coups de blagues et d’espièglerie bienvenue. Mais l’amie sait aussi être là et comprendre ce qui ne va pas et, malgré les à-coups de leur relation, leur lien tient bon. Au ras du réel et à hauteur d’ado, s’appropriant avec aisance les expressions des collégien·nes d’aujourd’hui, ce qui les anime et les terrorise – manger seul à la cantine, parler en public… –, l’écriture de Cédric Orain se fait caméléon, se glisse dans leurs failles et leurs doutes, et surtout, ne les prend pas de haut. Au contraire, il les prend au sérieux, à cet âge mouvant où trouver sa place est un enjeu de taille. Où le devenir adulte semble un futur lointain et hors de portée. Maïa inventera sa propre solution pour rallier à sa façon la femme qu’elle sera, plus tard, pour tendre la main à la femme de demain. Le Journal de Maïa se contente de quelques chaises pour tout décor. Et derrière son format court et léger, sans prétention, se tient le geste précis et ciselé de Cédric Orain, une pertinence et une finesse qui font du bien.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le Journal de Maïa
Texte et mise en scène Cédric Orain
Avec Louise Bénichou, Marion Brest
Création lumières Boris PijetlovicProduction La Traversée
Partenaires et soutiens Maison de la Culture d’Amiens – Scène nationaleLe projet est inscrit et soutenu au titre du dispositif « Une scène au collège » 2024-2025 du Conseil départemental de la Somme. Il bénéficie du soutien de la Région Hauts-de-France dans le cadre du dispositif Hauts-de-France en Avignon, et du soutien du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT et Tréteaux de France – Centre dramatique national (Aubervilliers).
Cédric Orain – La Traversée est artiste associé à la Maison de la Culture d’Amiens – Scène nationale. La compagnie bénéficie du soutien du ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles Hauts-de- France au titre de l’aide aux compagnies conventionnées et de la Région Hauts-de-France pour ses projets.
Durée : 50 minutes
À partir de 10 ansThéâtre du Train Bleu, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
du 5 au 24 juillet 2025, à 9h45 (relâche les 11 et 18)Maison de la Culture d’Amiens, Scène nationale
les 9 et 10 octobreLa Comédie de Béthune, CDN des Hauts-de-France (hors-les-murs)
du 9 au 14 mars 2026
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !