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Le « Farben » en nuances de gris de la compagnie Espace Blanc

A voir, Les critiques, Marionnettes, Paris, Théâtre

photo Simon Gosselin

La compagnie Espace Blanc s’empare par la marionnette de Farben de Mathieu Bertholet, plongée dans l’Allemagne de la Belle époque et de la guerre à travers la vie de la première femme chimiste allemande, Clara Immerwahr. Tout en nuances de gris, ce spectacle a tendance à uniformiser la matière très hétérogène de la pièce, qui fait de l’Histoire un terrain de pensée.

« Farben », titre d’une pièce écrite par le Suisse Mathieu Bertholet en 2008, ne fait pas seulement référence à l’entreprise I-G Farben qui produisit le zyklon B pendant la Seconde Guerre Mondiale. Les « couleurs » que désignent le mot allemand sont l’une des clés dramaturgiques du texte. Son personnage central, Clara Immerwahr, rêve en rouge, en bleu ou encore en vert. Les gaz de combat que met au point son mari chercheur en chimie, Fritz Haber, ne sont sans doute pas pour rien dans les teintes que prennent les songes de cette femme, elle aussi versée dans la science – elle est la première femme docteur en chimie de l’Université de Breslau, au tout début du XXème siècle – mais empêchée une fois en couple d’en poursuivre la pratique. Depuis le gaz de chlore jusqu’au Zyklon, en passant par le gaz Moutarde, les armes chimiques que développe Fritz Haber sont de couleurs diverses. De même que les sentiments de Clara Immerwahr tels que les traverse Mathieu Bertholet. Bien qu’ouvrant sa pièce sur le suicide en 1915 de son héroïne méconnue, aux talents étouffés par son époux et plus largement par la société de l’époque, son paysage intérieur est présenté dans toute sa complexe vivacité. La mise en scène qu’en fait la compagnie Espace Blanc, pourtant, se tient à distance de ces éclats : tout ce qui n’y est pas noir y est gris, comme nuageux.

Sans doute la construction de Farben, qui après le geste fatal de Clara Immerwahr nous ramène à sa vie depuis 1890 jusqu’aux débuts de la Première Guerre Mondiale, est-elle pour beaucoup dans le choix qu’en ont fait Cécile Givernet et Vincent Munsch de la compagnie Espace Blanc, qui dirige depuis 2021 le Théâtre Halle Roublot à Fontenay-sous-Bois dans le Val-de-Marne. Le flash-back, la reconstitution offrent en effet à la marionnette, langage de prédilection de la compagnie avec l’ombre et le matériel sonore, un riche terrain de jeu. Composée d’environ 120 courts fragments d’une page maximum – chez Actes Sud Papiers où elle a été éditée –, Farben se présente comme un matériau hybride dont chacun peut se saisir selon ses outils et ses sensibilités. On y trouve des scènes réalistes, précisément datées où l’on assiste notamment au pouvoir quotidien qu’exerce Fritz sur sa femme, la cantonnant à un rôle domestique qu’elle avait tout fait pour fuir. Des séquences brèves de l’ordre du fantasme invitent qui s’empare du texte à créer des images fortes, tandis que des passages monologués offrent la possibilité d’une adresse directe au public. Dans ses nuances de gris, la compagnie Espace Blanc trouve une esthétique séduisante mais qui tend à uniformiser cet hétérogène.

Le rapport entre les acteurs-marionnettistes – Brice Coupey, Cécile Giverney, Honorine Lefetz et Blue Montagne – et leurs créatures réalisées par Amélie Madeline n’est pas suffisamment traité pour faire de la marionnette une évidence, une nécessité dans le récit de l’existence de Clara Immerwahr. Après une introduction jouée par les comédiens plongés dans un noir opaque qui n’épargne que leurs visages, la plupart des tableaux se déroulent sur de petits plateaux de bois dressés au milieu de la scène, ou sur des tables que dressent puis emportent les acteurs. Clara et son époux y sont des pantins de bois aux armatures visibles, comme s’ils n’avaient pas pu être terminés par leur constructeur. Quant à l’entourage du couple, une poignée de femmes garantes de la domination masculine et d’une morale conservatrice, il se matérialise par des figures de taille humaine que les interprètes enfilent sur leur poing tandis qu’ils se mettent à parler d’une voix stridente. Un autre masque, celui d’un survivant à une explosion par gaz, apparaît aussi régulièrement auprès de Clara. Un officier, enfin, surplombe tous les autres personnages : enfilé par une comédienne tel un grand sac à dos, il incarne la puissance allemande à laquelle Fritz Haber se soumet pleinement, en tant que juif désireux de trouver sa place dans une société à l’antisémitisme déjà marqué.

Une courte scène, la première relation sexuelle de Clara et Fritz, donne à entrevoir ce qui manque par ailleurs : un dialogue, des frictions entre les comédiens et leurs marionnettes. À ce moment-là, au lieu de se cantonner au texte de Mathieu Bertholet, les acteurs qui manipulent les deux protagonistes miniatures se permettent de parler en leur nom propres, réfléchissant à voix haute sur la possibilité de faire croire en l’amour entre deux bonhommes de bois. Là, en questionnant sa pratique, la compagnie Espace Blanc interroge aussi la fabrication de l’Histoire avec un esprit ludique qui fait hélas défaut à la plupart des temps d’installation qui séparent chaque fragment du spectacle. Peu mis en scène, peu investis, ces moments de mise en place ont tendance à affaiblir les scènes de jeu plutôt que de les renforcer. Au lieu d’ajouter du relief au texte de Mathieu Bertholet, ou même simplement de mettre en valeur celui qu’il contient, ces très nombreuses transitions ont tendance à en lisser les aspérités et donc les violences. Les mouvements de la grande Histoire, qui mènent un homme à en tuer d’autres par la science, et de la plus petite qui entraîne le même individu à détruire les rêves d’une femme auraient pu être pénétrés en profondeur par la marionnette ; ils sont ici simplement racontés, comme bien d’autres histoires pourraient l’être.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

Farben

Auteur : Mathieu Bertholet (Éd. Actes Sud)
Mise en scène : Cécile Givernet, Vincent Munsch
Interprètes : Brice Coupey, Cécile Givernet, Honorine Lefetz et Blue Montagne Scénographie : Jane Joyet
Marionnettes : Amélie Madeline
Costumes : Séverine Thiébault
Univers sonore : Vincent Munsch et Kostia Cavalié
Création lumière : Corentin Praud
Régie son : Kostia Cavalié
Construction décor : ESAT Plaisir, Vincent Munsch, Corentin Praud et Jane Joyet

Production Théâtre Halle Roublot / Cie Espace Blanc Coproductions : Théâtre Jean-François Voguet – Fontenay-sous-Bois / Théâtre à la Coque – CNMa / Théâtre de Laval CNMa / Le Mouffetard – CNMa, Festival MARTO Soutiens : Théâtre de Châtillon, Théâtre Eurydice – ESAT Plaisir / Le Jardin Parallèle / L‘UsinoTOPIE / Festival Momix / Ministère de la Culture – DRAC Ile-de-France / Région Ile-deFrance / Conseil départemental du Val-de-Marne / Ville de Fontenay-sous-Bois
Copyright : Simon Gosselin

Durée : 1h30

Vu au Théâtre de Châtillon

Mouffetard – Centre national de la Marionnette, Paris (75)
Du 17 au 27 janvier 2024

Fontenay-en-Scènes, Fontenay-sous-Bois (94)
Les 1er et 2 février 2024

Théâtre Jean Arp, Clamart (92)
Le 11 mars 2024

17 janvier 2024/par Anaïs Heluin
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