Retour sur les planches de Claire Bretécher

Photo Lisa Lesourd

En compagnie de Flore Lefebvre des Noëttes, Cécile Garcia Fogel fait renaître l’autrice-dessinatrice et ses bandes dessinées désopilantes, qui croquent la vie des femmes des années 1970-1980. Un spectacle au goût vintage qui, à défaut de déclencher le rire, exhale le parfum d’une époque.

Claire Bretécher, femme pionnière dans le monde hyper masculin de la BD, créatrice notamment des Frustrés, d’Agrippine, collaboratrice de Pilote, de l’Écho des Savanes, puis du Nouvel Observateur, féministe, mais anti-militante, de gauche, mais vache avec les maoïstes germanopratins, chroniqueuse pleine d’autodérision à propos des ancêtres des bobos et des évolutions du mode de vie des femmes à travers la fin du siècle dernier. C’est un peu tout cela à la fois, combiné à l’atmosphère si reconnaissable de ses planches, que Cécile Garcia Fogel veut porter sur celles du théâtre, dans l’intimiste salle Paradis du Lucernaire, en duo avec Flore Lefebvre des Noëttes. Les deux artistes mêlent ainsi, une heure durant, des bribes d’interviews de la dessinatrice, des chansons féministes et des saynètes reprenant mot pour mot des dialogues et situations choisis parmi les albums Les Frustrés et Les Mères.

Femmes avachies sur le canapé qui se racontent leurs vies et leurs déboires, femmes mûres qui se plaignent de voir leurs maris les quitter pour des jeunettes, femmes libérées qui ne trouvent pas toujours le bonheur dans leur liberté, femmes militantes qui exagèrent parfois, et d’autres qui remettent drôlement bien les hommes à leur place, c’est toute une galerie de personnages variés qu’offrent ces sketchs dans lesquels l’humour se fait parfois limite, où plane l’ombre des viols et violences sexuelles sur lesquels on ne porte pas encore l’œil acéré d’aujourd’hui. Une époque, ni pire ni meilleure que la nôtre, dans laquelle l’émancipation des femmes prend une allure que Bretécher croque en se moquant de ses contradictions, tout en en soutenant la nécessité et le mouvement. Poussez-vous, les mecs ! possède à coup sûr une dimension vintage et, en même temps qu’elle active le souvenir de comic strips passés dans le patrimoine commun, porte témoignage d’une époque qui n’est pas sans éclairer la nôtre.

Malheureusement, l’humour tout en suspens et en sous-entendus de Claire Bretécher paraît un peu trop éthéré pour le théâtre. La mécanique du rire des BD et celle du plateau ne sont pas les mêmes. Et, si l’on retrouve avec Cécile Garcia Fogel et ses allures d’éternelle ado un peu boudeuse, un peu râleuse, l’esprit des personnages souvent déprimés et de mauvaise foi de la dessinatrice, Flore Lefebvre des Noëttes peine davantage à leur apporter vie et fantaisie. D’autant que les historiettes présentent presque à chaque fois des personnages qui, le temps de les situer, ont déjà achevé leur passage sur scène. Il y en a, certes, des récurrents et l’ensemble dessine une image toujours surprenante du travail de Bretécher, presque insaisissable dans ses zigzags et ses lignes de fuite, mais les chutes successives n’entraînent guère que des sourires, pas plus, et l’ensemble, haché, manque de liant et de ressort.

Eric Demey – www.sceneweb.fr

Poussez-vous, les mecs !
d’après Les Frustrés et Les Mères de Claire Bretécher
Mise en scène Cécile Garcia Fogel, assistée de Pierre-Thomas Jourdan
Regard extérieur Antoine Heuillet
Avec Cécile Garcia Fogel, Flore Lefebvre des Noëttes
Voix masculines Éric Challier, David Houry
Lumières Olivier Oudiou
Scénographie Luna Rauck
Son Laurent Hernieux
Violoncelle Louis Albertosi

Production RosaSolis, Gilles Saint-Salvi
Coréalisation Théâtre Lucernaire

Durée : 1h

Théâtre Lucernaire, Paris
du 6 novembre 2024 au 5 janvier 2025