Repéré grâce au solo intrigant Clashes Licking aux Hivernales lors du festival d’Avignon off 2023, lae chorégraphe brésilien Catol Teixeira met en scène la dimension politique des corps de manière troublante.
Sur la scène l’atmosphère brumeuse, dense, surgit un corps hybride, juché sur des chaussons de pointe et coiffé d’une longue perruque. Aux Hivernales à Avignon cette année, on découvrait la danse minutieuse, aussi énigmatique que sensuelle de Catol Teixeira dans Clashes Licking (2023). Vêtu d’un ensemble en latex beige iel y investissait la figure du Fauve, animale parfois, ou qui s’envolait, suspendu à un câble dans les airs. On aurait pu revoir lae chorégraphe aux cheveux court et regard franc avec ses confrères et consœurs de la scène émergente à Danse Dense cet automne. Mais faute de visa, cet artiste basé à Lausanne (et formé à l’école de danse contemporaine de La Manufacture), a dû annuler sa venue. C’est de Rio de Janeiro qu’iel nous parle, un matin, entouré par les bruits des animaux qui s’éveillent doucement.
« Je vais essayer d’être le plus structuré possible, commence-t-iel d’une voix posée, mais ma manière de m’organiser repose beaucoup sur des mélanges entre les choses. » Sa danse, on le constatait dans Clashes Licking, est aussi affaire de porosité. Elle est imprégnée de la technique classique, sa rigueur, sa manière de corseter les corps, sa physicalité (en témoignent les chaussons de pointe), qu’iel apprend dès l’âge de onze ans à Porto Alegre, ville où iel grandit, comme sa technique du cirque (que l’on retrouve dans un moment de suspension dans les airs), autre régime de virtuosité tout aussi exigeant. La figure du Faune de Nijinsky, l’héritage de la danse occidentale s’entrechoquent, avec la mise en scène de son corps queer, non-binaire transmasculin, bouleversant ainsi les critères cis-hétéronormatifs du ballet.
C’est ce millefeuille de sens, de pratiques, d’histoires qui habitent le corps dansant pour Catol Teixeira : « Le corps porte certaines inscriptions, de genre, de race, qui impliquent certaines gestuelles explique-t-iel. Mais ce qui prévaut pour moi dans la danse, c’est sa dimension spirituelle, sa capacité à canaliser l’inconnu.» Il faut dire que lae danseur fait pénétrer dans des mondes fantastiques, irréels, où la danse touche directement aux tripes.
Une stratégie politique aussi ? Car si les corps sont moteurs de changement pour iel, cela passe pour iel avant tout par le sensible, les émotions et les affects qui les habitent : « Pour se libérer des structures racistes, xénophobes et homophobes… Je pense que cela ne pourra pas seulement se baser sur des idées, cela doit passer par les corps et leurs transformations. » Zona de Derrama (2023) continue cette quête de mutation profonde. Cette pièce de groupe, toute aussi mystérieuse que la précédente, plonge dans des zones mouvantes, imprégnés d’affects, de tendresse ou de danger, qui sont autant de fragments chorégraphiques qui submergent, floutent, déjouent l’ordre imposés aux corps. Poétique, complexe et militante, la recherche de Catol Teixeira est aussi prometteuse que sa danse troublante. On espère avoir l’occasion de lae revoir, pour se perdre à nouveau dans ses mondes déstabilisants.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Le Palmarès de Belinda Mathieu :
Soli les plus troublants : Peeling Back de Nina Santes et Clashes Licking de Catol Teixeira.
Interprétation la plus poignante : Julien Andujar dans Tatiana.
Spectacle le plus entraînant : EXIT ABOVE d’Anne Teresa de Keersmaeker
Spectacle le plus élégant : The Romeo de Trajal Harrell.
Meilleure reprise : Kontakthof de Pina Bausch par le Ballet de l’Opéra de Paris.
Spectacle le plus caustique : Nice Trip de Mathieu Desseigne-Ravel et Michel Schweizer.
Chorégraphe la plus prometteuse : Simone Mousset.
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