
photo Claudius Pan
Actrice, metteuse en scène, Catherine Hargreaves a beaucoup porté d’auteurs britanniques au plateau jusqu’à traduire et contribué largement à faire connaitre en France Tim Crouch. En mars, elle crée Back to reality, et poursuit ainsi un dialogue scénique avec sa sœur handicapée disparue. En ligne de mire toujours l’authenticité.
Catherine Hargreaves n’est encore que collégienne à Auxerre quand elle suit les ateliers du soir au théâtre municipal de sa ville. On l’encourage à se former plus mais ce n’est pas le moment. C’est à Paris, où elle s’installe pour son année de Terminale, que la Franco-britannique (née en France de parents anglais) passe aux choses sérieuses. En parallèle de sa prépa, elle est à l’école de Chaillot avec Olivier Borle, Pascal Rénéric et d’autres. Ce sera son socle. « Bouffer des spectacles » est son autre apprentissage. Puis passe les concours du Conservatoire, du TNS c’est à l’ENSATT qu’elle est reçue en 2001, à 23 ans, où elle est enseigne aujourd’hui encore, en anglais.
L’Angleterre
À l’école perchée sur la colline de Fourvière à Lyon, elle met déjà en scène ses camarades mais c’est Gilles Chavassieux qui la mène indirectement aux auteurs anglais. Le directeur du théâtre des Ateliers en Presqu’île lance le rendez-vous des Européennes avec l’idée que soient mis en lecture des textes inédits d’auteurs contemporains. Pour elle, ce sera Anthony Neilson. « Ça m’a fait rire fort, je me suis dit qu’il fallait le monter avec des camarades de promo ». Sa planche de salut sera l’Elysée, ce petit théâtre dédié à l’émergence, au cœur de la Guillotière lyonnaise et aux mains de Jacques Fayard qui avait avec sa femme Anne-Marie, dit-elle reconnaissante « des intuitions sur des jeunes ».
Ce sera « Réalisme » puis très vite des théâtres plus renommés : celui des Célestins, en petite salle, pour « Le Monde merveilleux de Dissocia » du même Neilson et le théâtre de la Croix-Rousse pour « La Ballade du vieux marin ». Le premier est un succès détonnant. La pièce est vive. La compagnie protéiforme des Sept sœurs à laquelle elle émarge est sur le plateau en nombre. Le deuxième n’a pas ce rythme. La metteuse est attendue par les tutelles, elle entre dans la course classique subventions/création/tournée mais ça achoppe sur cette fresque en deux volets, expérience de sa traversée de l’Atlantique sur un cargo. Les mots sont murmurés, on sent le vent et l’âpreté d’un récit plus épars que solidement structuré. C’est une tentative sensible de faire théâtre de ce poème du XVIIIe siècle.
Mais puisqu’elle ne livre pas un 3e épisode de Neilson, le boomerang sera violent ; pour certaines tutelles, elle aurait même « trahi leur confiance » se souvient-elle. Heureusement, des soutiens vaillants persistent dont le TNG. Son directeur Joris Mathieu la fait inaugurer son programme du « Vivier », cet espace de recherche en écriture scénique qui lui permet de travailler un autre Anglais, Shakespeare, via son compatriote Tim Crouch. Ce dernier, célébré depuis au Festival d’Avignon en 2023, a notamment écrit cinq monologues pour le jeune public, « Moi, Shakespeare ». Catherine Hargreaves en monte deux au TNG, « Moi, Malvolio » en 2018 et « Moi, fleur des pois » l’année suivante. Cette rencontre est une « bouée » dit-elle, elle l’enseigne même à l’ENSATT au cours de stages.
Rachel
Et puis il y a, en parallèle, la collaboration qui commence avec sa compagne autrice Adèle Gascuel. Six ans après leur rencontre elles font même spectacle de ce couple dans « La Dernière Séance » en 2021 autour de la création, de faire ou pas un enfant, de PMA « et d’envoyer valser un monde dépassé ». L’enfant est désormais là, trimballé dans les coulisses d’une vie artistique intense. Chacune est le regard (plus ou moins) extérieur du travail de l’autre. Catherine a récemment été celui du spectacle jeune public d’Adèle, « Sirène 2428 ». Désormais c’est cette dernière qui accompagne le projet de Catherine à la MC2 où elle est associée, « Back to reality ».
Voici un autre fil qui s’installe solidement dans son parcours : celui de l’inclusion des personnes handicapées. Elles sont présentes dans « Sirène », un acteur anglais est porteur de trisomie dans « Back to reality » né du deuil de sa sœur, Rachel, atteinte de cette maladie. « La fin de vie de Rachel a été très dur notamment l’accueil sociétal et institutionnel mais je n’ai pas voulu pointer ça spécifiquement, plutôt raconter la vie joyeuse avec elle ». Bien sûr, dit-elle « travailler avec des acteurs handicapés multiplie le temps de travail administratif par trois et c’est du temps de répétition en moins » mais si ce n’est pas fait, « on se prive d’une partie de l’humanité sur les plateaux ». Cependant « Back to reality » ne peut se réduire à ce thème insiste-telle. C’est aussi l’histoire d’un trio de sœurs incarnées au plateau par trois garçons habillés de blanc aux airs de boy band indique-t-elle.
Adèle
En 2010, elle se présentait au bout d’un plongeoir. C’était précisément dans ce petit théâtre de l’Elysée avec son texte « Dead woman laughting » dont elle admet avec le recul que c’était déjà un maillon de son travail sur sa sœur (le premier étant « Autonomie : la défaite » en 2014). Catherine Hargreaves jouait là avec l’assistance et cette suspension : qu’allait-elle faire ? Ce n’était pas vraiment le plus important car il reste des années après, cette sensation qu’elle s’approche au plus précis de la recherche d’authenticité. Et ne rechigne pas à l’humour qu’elle a tant travaillé avec les écrivains anglais. « En France, on est très snob avec ça, comme si faire quelque chose de drôle demandait moins de travail et d’implication que quelque chose de sérieux. Or c’est plus difficile techniquement. C’est aussi pour ça que j’aime beaucoup l’écriture d’Adèle ».
Le duo a déjà un autre projet à l’horizon, celui que porte Adèle Gascuel en hommage aux routiers. « Beau comme un camion » est prévu pour les « lieux non-dédiés » en 2024-25. Catherine Hargreaves est bien entendu « regard extérieur » !
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
En tournée
Back to reality
Les 5, 6, 7 mars 2024 MC2, Grenoble
Les 9 au 11 mars au Théâtre du Point du Jour, Lyon
Le 13 mars à La Mouche, Saint Genis Laval
Le 16 mars au Vivat, Armentières
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