Création à partir d’un texte de Cami, comique méconnu du début du XXe siècle, le Cabaret Néopathétique de Clément Poirée propose une aventure collective et esthétique rassembleuse, traçant une route originale, mais un peu longue et décousue.
Au Théâtre de la Tempête qu’il dirige depuis désormais huit années, Clément Poirée se fait une spécialité d’inventer des formes théâtrales qui revisitent régulièrement le rapport entre la scène et la salle. L’année dernière, par exemple, il montait L’Avare de Molière en conviant les spectateurs à rapporter des objets, ou autres vêtements, dont ils n’avaient plus l’utilité. Une fois rassemblés, ceux-ci allaient servir aux costumes et à la scénographie du soir, chaque représentation s’improvisant donc en partie autour de cette collecte. Cette année, changement de cap, avec cette même obsession du rapprochement entre spectateurs et acteurs : Clément Poirée a concocté un Cabaret Néopathétique qui, reprenant les codes dudit cabaret, invite les spectateurs à manger et à boire (moyennant une petite somme) dans une salle Copi transformée pour l’occasion en un espace bifrontal muni de podiums, dans lequel le public est éparpillé en îlots et susceptible de se déplacer.
Dans un bel esprit collectif, Clément Poirée a par ailleurs invité des artistes programmés durant la saison à La Tempête à venir grossir les rangs de sa Troupe éphémère. Ainsi, dans ce spectacle, ils ne sont pas moins de quinze à alimenter le mouvement tourbillonnant du plateau, qui possède autant le mérite que s’y produit sans cesse quelque chose de nouveau, que le regard va chercher à droite, à gauche, les surprises qu’il réserve, que le défaut de diluer l’attention et de faire perdre le fil. Un fil rouge tendu par les aventures de Pssitt et Pchutt, deux clowns qui cherchent leur place dans la vie, dans la ville, dans ce monde trop sérieux que propose une société bien triste, déprimée même, pleine de règles, de raison et de questions d’argent. Un humoriste oublié du début du XXe siècle, Cami, resté méconnu de son temps, mais ayant notamment reçu les louanges de Charlie Chaplin himself, qui le désigna « le plus grand humoriste in the world », est l’auteur de cette trame, qui va par ailleurs traîner ses guêtres du côté d’autres figures plus connues, et beaucoup moins drôles, telles que Kafka, Tchekhov ou Pessoa. Un bric-à-brac en somme – entrecoupé de chansons revisitées – qui démarre dès la salle de restaurant du théâtre transformée en loges ouvertes, où se joue le premier acte de ce (trop) long spectacle de plus de trois heures.
Spectacle décousu et voulu comme ça, le Cabaret Néopathétique de Clément Poirée a le grand mérite d’aller solliciter notre âme d’enfant sensible aux pitreries clownesques – clowns poursuivis par des gendarmes qui parviennent sans cesse à leur échapper, qui inventent ensuite des stratagèmes pour manger au restaurant sans payer, ou sauvent un cabaret du désastre économique en transformant le décor ensoleillé en fake-réalité. Plongé dans une esthétique parfois cartoon, films muets, parfois plus freak, ou disons au moins cabane foraine, il revendique le suranné tout comme l’intemporalité de ses thématiques. La mélancolie de nos existences, alimentée par une société dévolue à l’ordre bourgeois, moral et financier, et trempée dans les questionnements existentiels qui nous traversent inévitablement, l’imprègne de sa note sombre. Véritable chassé-croisé de personnages sortis de nulle part, il se répète cependant trop en même temps qu’il part dans tous les sens. À consommer dans une forme de distraction, certainement, il finit sinon par fatiguer l’attention. Non qu’on en perde le fil, mais que celui-ci se distend, rendant chaque événement un peu moins important que le précédent. Éminemment sympathique cependant, et instaurant une théâtralité à la fois surprenante et inhabituelle, il tient son pari premier d’une expérience rassembleuse et hors des clous.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Cabaret Néopathétique / Pssitt et Pchutt dans le cirque de la vie
d’après Cami, Daniil Harms, Kafka, Melville, Tchekhov
Mise en scène Clément Poirée
Avec Bruno Blairet, Sébastien Bravard, Ludmilla Dabo, Marine Déchelette, Sylvain Dufour, Myriam Fichter, Stéphanie Gibert, Delphine Hecquet, Jeanne Lepers, Nicolas Liautard, Sidney Ali Mehelleb, Laurent Ménoret, Sacha Vilmar, Catherine Vinatier, Pascal Zelcer et à l’image Victor Hugo Dos Santos Pereira
Collaboration à la mise en scène Sylvain Dufour
Scénographie Erwan Creff, assisté d’Hortense Gavriloff
Lumières Guillaume Tesson, assisté de Clément Chebli
Costumes Hanna Sjödin, assistée de Camille Lamy
Musique, son Stéphanie Gibert
Maquillage Pauline Bry-Martin
Vidéo Fanchon Bilbille
Régie générale Yan Dekel
Habillage Émilie Lechevalier, Solène Truong
Cuisine Clara Prigent, assistée de Joséphine Massot
Stagiaire à la collaboration artistique Mathilde Muller
Avec l’aide d’Iris Winckler
Avec la participation de Nicolas Mazet, Amélie Dupuis, Antoine Josse, Apolline Martinelli, Timothée TonneauProduction Théâtre de la Tempête
Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture et la région Ile-de-France, et soutenu par la ville de Paris.
Durée : 3h
Théâtre de la Tempête, Paris
du 11 au 28 septembre 2025
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