Aujourd’hui emmenée par Buru Mohlabane, Vusi Mdoyi et Steven Faleni, la compagnie sud-africaine Via Katlehong a présenté Via Injabulo au Festival d’Avignon cet été. Autour de ce spectacle articulé en un double programme signé par Marco da Silva Ferreira et Amala Dianor, rencontre avec Buru Mohlabane, alors que le spectacle part en tournée.
Née en 1992, la compagnie sud-africaine Via Katlehong invite pour chacun de ses spectacles un ou des chorégraphes différents et reconnus internationalement. Ces derniers imaginent à chaque fois une création reliant leur univers spécifique à celui de Via Katlehong – marqué par la défense de la culture et de la danse pantsula (apparue dans les townships – ghettos – en Afrique du Sud). Si Via Injabulo aurait du être chorégraphié par Ousmane Sy, le décès brutal en décembre 2020 de ce danseur et chorégraphe français pionnier de la danse hip-hop et co-directeur du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne a amené la compagnie à chercher d’autres artistes. Enthousiasmée par l’énergie et les précédentes créations du portugais Marco da Silva Ferreira et du français Amala Dianor, Via Katlehong décide de solliciter ces deux chorégraphes. Le résultat est un spectacle offrant un double programme : tandis que Marco da Silva Ferreira crée førm Inførms, Amala Dianor signe, lui, Emaphakathini. L’ensemble propose un spectacle passionné et vif, porté par des interprètes engagés. Les deux performances intègrent parfaitement le pantsula (proche d’un hip-hop non-acrobatique) et le gumboot (danse de mineurs pratiquée avec des bottes en caoutchouc et fondée sur des frappes des mains sur les cuisses et les mollets) à des influences chorégraphiques européennes pour offrir une création à l’énergie communicative. Rencontre.
Le pantsula et le gumboot sont deux danses nées en Afrique du Sud dans les années 60-70 sous l’apartheid. Pourriez-vous nous en dire plus sur leur histoire ?
Buru Mohlabane : Le pantsula est une danse sud-africaine qui provient des townships (zones urbaines sous-développées en Afrique du Sud, qui ont fait l’objet d’une ségrégation raciale jusqu’à la fin de l’apartheid). À l’origine, les townships étaient seulement concentrés autour de Johannesburg, et ceux qui y vivaient étaient majoritairement les mineurs. Ces derniers venaient pour la plupart de différents pays sud-africains, certains d’entre eux avaient vu leur famille leur être enlevée et n’avaient que peu d’espoir de la revoir. C’est pour survivre à ces conditions de vie terribles que les mineurs ont commencé à danser et c’est ainsi qu’est né le gumboot. Par la suite, des townships ont émergé dans tout le pays, et différentes ethnies ont commencé à y cohabiter. C’est à travers la culture et le mode de vie des townships que le pantsula est né. Si cette musique a évolué au fil des générations, elle s’inspire à l’origine du jazz et d’autres styles de musique traditionnelles.
La compagnie Via Katlehong est née dans les dernières années de l’apartheid – période extrêmement violente. Quelle est son origine ?
Via Katlehong a été créée en 1992 par quatre danseurs de rue. Ils ont donné à la compagnie le nom de notre township [situé près de la ville d’Alberton, ndlr]. Leur objectif était d’éloigner les enfants de la rue, de la criminalité et de la drogue. Les jeunes étaient très affectés par les violences qui se produisaient dans le township. À Katlehong en particulier, les violences et affrontement entre différentes ethnies étaient extrêmement forts. Le début des années 90 était une période terrible, des gens s’entre-tuaient quotidiennement, à tel point qu’il m’est arrivé de voir des cadavres dans la rue en me rendant à l’école. Et comme vous pouvez imaginer, il n’y avait aucun dispositifs d’accompagnement professionnel ou de soutien psychologique pour les jeunes noirs.
Quand avez-vous rejoint Via Katlehong ?
J’ai eu la chance d’être un des enfants choisis par Via Katlehong quand j’avais treize ans. Je fais partie de la deuxième génération de danseurs et les ai rejoints en 1996. Avec eux j’ai appris non seulement la discipline de la danse mais aussi celle de la vie. Via Katlehong n’était pas (et ne l’est toujours pas) considéré comme un collectif professionnel par l’État car les danses que nous pratiquons, le pantsula et le gumboot sont des danses de rue et ne s’apprennent pas dans des conservatoires, comme la danse classique ou contemporaine. Cela fait partie de nos rêves aujourd’hui en tant que compagnie de créer cette institution qui permettrait d’être diplômé dans la pratique de ces danses.
Comment choisissez-vous les chorégraphes que vous invitez ?
Sincèrement, c’est d’abord une question d’intuition. Ce n’est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. Notre travail au sein de Via Katlehong est très personnel et on le respecte. Alors, quand on choisit un chorégraphe on se renseigne : on regarde d’où il vient, ses références, ses précédents spectacles et leur succès, et bien sûr son énergie et sa créativité. Jusqu’à maintenant nos collaborations ont toujours été incroyables, que ce soit avec Robyn Orlin, Gregory Maqoma, ou Ousmane Sy, qui devait à l’origine chorégraphier ce spectacle, et bien sûr Marco da Silva Ferreira et Amala Dianor.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les sifflements que l’on entend tout au long du spectacle ? Quel est leur rôle ?
Ces sifflements sont très importants. Dans notre culture, siffler fait partie du mode de communication. Dans le township, si je siffle, quelqu’un répondra. Si je siffle d’une certaine manière, tout le monde saura que c’est moi. Nous l’utilisons dans la vie de tous les jours, par exemple pour attirer l’attention d’un taxi. Si le sifflement occupe une telle place dans le pantsula, c’est parce que cette danse est basée sur la vie quotidienne du township, que ce soit en termes de mouvements ou de sons.
Que signifie l’intitulé du spectacle, Via Injabulo, et quelle est l’histoire derrière ce nom ?
Avec le Covid nous avons traversé énormément de choses, nous avons perdu des membres de nos familles, nous avons perdu beaucoup trop de proches. Quand la pandémie a débuté, nous avions des tournées de prévues et tout a été annulé. La danse étant notre gagne-pain, la période a été extrêmement difficile. De plus, la politique de notre pays étant épouvantable – la corruption y est omniprésente –, les artistes ont été négligés et nous n’avons reçu aucun soutien de l’État. Quand nous avons commencé à imaginer le projet de Via Injabulo, nous l’entendions comme un projet de guérison, c’est pourquoi nous avons choisi le terme « Injabulo » qui signifie « joie » en zoulou. Il s’agissait d’avoir le courage de revenir sur le devant de la scène en tant qu’artistes, de se dire que même s’il y avait une autre pandémie, nous y survivrions. Le mot Via est dans le nom de tous les spectacles que nous construisons, ainsi que dans celui de notre compagnie, car nous concevons la vie comme un voyage. Tous ces spectacles sont donc des endroits par lesquels la vie nous fait passer. Aujourd’hui, notre voyage nous fait passer par la joie. Dans nos précédents spectacles nous sommes passés par Via Kanana ou par Via Sophiatown, mais nous passons toujours par Via Katlehong. Ce Via Katlehong va en particulier de pair avec notre désir de relancer le tourisme à Katlehong, qui est un township très fermé et habité uniquement par des populations noires.
Hanna Bernard – www.sceneweb.fr
Via Injabulo
førm Inførms
Direction de la compagnie Via Katlehong Buru Mohlabane et Steven Faleni
Chorégraphie Marco da Silva Ferreira
Avec Thulisile Binda, Julia Burnham, Katleho Lekhula, Lungile Mahlangu, Tshepo Mohlabane, Kgadi Motsoane, Thato Qofela, Abel Vilakazi
Musique Jonathan Uliel Saldanha
Lumière Cárin GeadaEmaphakathini
Direction de la compagnie Via Katlehong Buru Mohlabane et Steven Faleni
Chorégraphie Amala Dianor
Avec Thulisile Binda, Julia Burnham, Katleho Lekhula, Lungile Mahlangu, Tshepo Mohlabane, Kgadi Motsoane, Thato Qofela, Abel Vilakazi
Lumière Cárin GeadaProduction Via Katlehong Dance, Damien Valette Prod
Coproduction Chaillot Théâtre National de la Danse (Paris), Théâtre de la Ville (Paris), Maison de la Danse (Lyon), Festival DDD – Teatro Municipal do Porto, Festival d’Avignon, Le Grand T – Théâtre de Loire Atlantique (Nantes), Maison des Arts de Créteil , Espace 1789 – Scène conventionnée danse de Saint-Ouen
Avec le soutien de la Saison France-Portugal 2022, Institut français d’Afrique du Sud, Centre culturel Camões à Paris
Avec l’aide de RFI et de la ville d’Ekurhuleni (Afrique du Sud)
En partenariat avec France Médias MondeDurée : 1h15 (entracte compris)
10 au 11 septembre 2022
Festival La Bâtie (Genève, Suisse)16 et 17 septembre
Teatro Municipal Do Porto (Portugal)21 septembre
I Teatri di Reggio Emilia (Italie)24 septembre
Théâtre Louis-Aragon, Tremblay-en-France27 septembre
Opéra de Dijon1er octobre
Espace Michel Simon, Noisy-le-Grand6 au 9 octobre
Chaillot-Théâtre national de la danse12 octobre
Scène nationale d’Albi15 octobre
ThéâtredelaCité (Toulouse)18 au 21 octobre
Maison de la Danse (Lyon)28 et 29 octobre
fabrik Potsdam (Berlin, Allemagne)10 novembre
L’Espal, Scène nationale du Mans17 au 19 novembre
Le Quartz, Scène nationale de Brest22 novembre
L’Avant Seine Théâtre de Colombes24 au 26 novembre
Maison des Arts de Créteil29 novembre
Château Rouge (Annemasse)1 et 2 décembre
MC2: (Grenoble)6 et 7 décembre
Bonlieu Scène nationale Annecy9 décembre
La Comète, Scène nationale de Châlons-en-Champagne14 et 15 décembre,
Grand Théâtre de Luxembourg
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