Au Festival Off d’Avignon, le collectif amiénois opte pour le théâtre documentaire et met en scène une pièce sur le complotisme. Malin et déconcertant.
D’emblée, la forme est annoncée : Bunker est une pièce documentaire, la mise en scène d’une enquête journalistique bien réelle. Le collectif Superamas, basé à Amiens, s’est penché sur la question du complotisme. À l’origine de ce projet, il y a l’expérience tragique vécue par l’une de ses membres, Pauline Paolini. Il y a quelques années de cela, la sœur jumelle de l’actrice est tombée malade du cancer. Elle a reçu un traitement adéquat : une ablation du sein, suivie d’une lourde chimiothérapie. Celle-ci fut particulièrement douloureuse et l’a incitée à se tourner vers la médecine alternative. Au fil de ses pérégrinations sur Internet, la jeune femme a croisé la route d’un certain docteur Kurtz, une espèce de naturopathe, a priori, recommandant d’inoffensifs jus de fruits et la pratique sport, mais qui s’est révélé, a posteriori, être un dangereux gourou complotiste et un terroriste en puissance. Sous son influence, la jeune malade a cessé son traitement, convaincue qu’il lui faisait davantage de mal que de bien. Un an plus tard, elle est morte d’un cancer généralisé.
C’est à ce moment précis que le projet Bunker voit le jour. Révoltés, Pauline Paolini et les membres de son collectif théâtral se mettent en tête de confondre le dangereux prédateur, mais la police ne peut rien : le docteur prend toujours le soin de ne laisser aucune trace incriminante. Alors, la comédienne décide d’aller plus loin en se faisant passer pour la groupie crédule de Kurz, quitte à prendre des risques conséquents. Avec l’aide des deux acolytes qui composent le collectif, elle enregistre chaque rencontre. Afin de ne pas divulgâcher le spectacle, nous n’irons pas plus loin dans le récit. D’ailleurs, son intérêt n’est pas là, enfin pas tout à fait…
Sur scène, on assiste à ce qu’il est coutume d’appeler une restitution. En d’autres termes, à la mise en scène du travail journalistique : une interview rejouée, des captations du travail de recherche projetées en fond de scène, l’intervention de quelques spécialistes – psys, médecins, neurologues. L’objectif étant d’expliquer les rouages à l’œuvre dans le complotisme d’un point de vue psychologique, voire physiologique. Le docteur Kurtz est non seulement anti-big pharma, mais aussi un partisan de la théorie du grand remplacement, développée par Renaud Camus.
L’ensemble est intéressant car les mécanismes y sont bien expliqués. À l’instar de la question du sectarisme, ce genre de sujet captive. Et puis, il se passe quelque chose d’inattendu. En cours de route, on se demande si, à l’image des victimes du docteur Kurz, nous ne serions pas, nous aussi, trop crédules. Le prédateur est joué par un acteur, mais, après tout, il s’agit d’une reconstitution. L’histoire va très loin, et le doute s’installe. Pourquoi pense-t-on toujours que le théâtre documentaire dit la vérité ? Quel serait l’intérêt de mentir ? Mais, après tout, la fiction n’est qu’affabulation… L’esprit critique est alors en éveil. On veut savoir, on interpelle les comédiens. Si c’était l’objectif, c’est drôlement réussi.
Igor Hansen-Løve — sceneweb.fr
Bunker
Texte et mise en scène Superamas
Avec Pauline Paolini, Superamas et la participation d’Emmanuelle Danblon, Sebastian Dieguez, Diederik Peeters, Thierry Ripoll
Décors et son Superamas
Lumières scène Henri-Emmanuel Doublier
Lumières film Marc Laperrouze
Costumes Sofie DurnezProduction Superamas
Coproduction Le Manège Maubeuge, scène nationale ; Théâtre Jacques Tati, Amiens
Soutiens Région Hauts-de-France (PRAC), DRAC Hauts-de-France (Aide à la création), Institut Français dans le cadre de sa coopération avec la Région Hauts-de-France, L’Usine à Gaz, Nyon (Suisse), Buda Kuns- tencentrum Courtrai (Belgique).Durée : 1h10
Festival Off d’Avignon 2024
11 • Avignon
du 2 au 21 juillet (relâche les lundis), à 15h35La Maison du théâtre d’Amiens
du 11 au 14 mars 2025
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