Présenté au Théâtre des Quartiers d’Ivry, Chroma de Bruno Geslin met en scène un trio d’artistes qui, à nu et à vif, donne corps et matière au dernier livre de Derek Jarman transposé en œuvre d’art totale.
Dans une époque marquée par l’émergence ravageuse de l’épidémie du sida, Derek Jarman, artiste britannique touche-à-tout et figure underground emblématique, est lui-même malade et condamné. Devenu quasi-aveugle, il signe à la fin de sa courte vie, un livre très personnel dans lequel il décrit son rapport au monde et aux couleurs alors que sa propre perception des choses est en train de s’étioler. L’objet, singulièrement poétique mais assez peu théâtral, trouve une transcription scénique audacieuse, protéiforme, et parfaitement juste dans le spectacle que met en scène Bruno Geslin. Totalement affranchi d’une scolaire évocation biographique, déployant les attraits d’une oeuvre se situant volontiers à la croisée du théâtre, de la danse, du cabaret, de la comédie musicale, des arts plastiques et performatifs, la grandiose et touchante proposition artistique se présente comme l’exploration étonnante d’un territoire sensible, d’un espace à la fois physique et mental où prolifèrent et se combinent les images et les sons, une plongée torride au cœur d’inspirants états émotionnels exacerbés.
Chaque tableau est comme une vision, une émotion, véhiculée tant par l’esthétisme chiadée de la scénographie que par la forte présence des interprètes, les talentueux acteurs, danseurs, musiciens que sont Émilie Beauvais, Nicolas Fayol, Olivier Normand, Benjamin Garnier et Alexandre Le Hong.
L’univers esthétiquement foisonnant se partage entre le noir sombre comme la mort et le blanc lumineux comme la vie. Entre les deux, le plateau se colore de plusieurs tons et nuances, de projections d’images fantasmatiques ou hallucinogènes, d’explosions de rouge écarlate, celui du sang, de la révolte, de l’enfer rimbaldien, des coquelicots et des red lights de Soho, mais aussi de jaune, de vert, de bleu, soit une déclinaison alchimiste de tons délicats ou plus incendiaires qui appellent frénétiquement le corps, ivre et expansif baigné de lumière puis nimbé de crépuscule comme une ombre spectrale. Les interprètes en simple slip blanc ne sont pas sans faire écho à Good Boy, la bouleversante pièce autobiographique d’Alain Buffard, qui là aussi, met le corps face à la maladie et au délitement. Chroma se présente de la même manière comme un manifeste à voir casser les normes et transcender les genres.
L’étourdissante forme proposée touche par ses dimensions plastique et épidermique, par la beauté de ses corps, sensuels, par la liberté de son geste débridé. La pièce raconte la construction de soi, la solitude, le désir, la révolte, le déclin, la finitude. L’humour et la déraison ne sont pas absents même teintés d’une belle mélancolie. Elle se présente comme une grande fête queer et veut surtout transmettre l’énergie, la vitalité de l’art et de l’être. Elle s’offre comme la sublimation visuelle et émotionnelle de son sujet.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Chroma
Bruno Geslin – Derek Jarman
Avec : Anna Carlier, Nicolas Fayol, Olivier Normand, Benjamin Garnier, Alexandre Le Hong
Création musique : Mont Analogue
Création et régie son : Teddy Degouys
Création lumière : Laurent Bénard
Régie lumière : Claude Casas
Création vidéo : Quentin Vigier
Régie Vidéo : Jéronimo Roe
Images : Bruno Geslin, Nicolas Fayol, Quentin Vigier
Scénographie : Bruno Geslin
Construction et régie plateau : Jean-Paul Zurcher
Surtitrage et coordination générale : Paul Deleligne
Régie Compagnie : Emmanuelle Hertmann
Photos : Bruno GeslinCoproduction : Théâtre de l’Archipel Scène nationale de Perpignan / Théâtre de Nîmes Scène conventionnée pour la danse contemporaine | Avec le soutien de la SPEDIDAM du F.I.J.A.D., D.R.A.C. et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, D.R.A.C. et Région Languedoc Roussillon
Durée: 1h30
Théâtre des Quartiers d’Ivry
Du 29 jan au 2 fév 2020
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