Pour relier le 24 Place Beaumarchais d’Échirolles à la MC2: Grenoble, il n’y a pas 3 kilomètres, mais pour l’acteur Brahim Koutari, le chemin a été long. Il a confié à l’autrice Adèle Gascuel et à la metteuse en scène Catherine Hargreaves le soin de construire son solo autobiographique, l’histoire d’un gosse de la banlieue grenobloise passé par (les affres d’) une école nationale de théâtre.
Ce n’est pas une mince affaire pour Brahim Koutari de créer ce solo à la MC2: Grenoble, si près du quartier de la Butte d’Échirolles où il a grandi. À lui qui est né en 1994 à la clinique des Cèdres, comme un grand nombre de Grenoblois, sa famille n’a pas transmis l’histoire de ce haut lieu de la décentralisation culturelle française qu’a été la maison de la culture inaugurée par André Malraux en 1968 en plein Jeux olympiques, et à côté de laquelle elle a vécu et vit encore. Son père vient de Casablanca, s’est installé enfant dans cette ZUP astucieusement rebaptisée « zone huppée », sa mère habitait la Villeneuve, sur la commune de Grenoble, en face, mais aux antipodes, de sorte que leur rencontre est digne des Montaigu et des Capulet, nous dit-il. Car tout est question de territoires. Longtemps, celui de Brahim Koutari s’est défini par des chiffres, 3-8-1-3-0, le code postal de sa ville, et la police l’a stigmatisé par son adresse, le 24 Place Beaumarchais. Désormais, « le théâtre est [s]a terre », puisqu’en France il est le Marocain et qu’au Maroc il est le Français.
C’est seul qu’il interprète son propre parcours. Et c’est à Adèle Gascuel et Catherine Hargreaves, duo à la tête de la compagnie des 7 sœurs, qui nous a récemment enthousiasmé avec Back to reality, qu’il a raconté son parcours pour qu’elles en fassent du théâtre avec le souci majeur que ça lui ressemble. Donc, il y a des langues. L’arabe, bien sûr, qui ouvre et referme ces 70 minutes, celui du quotidien et des prières récurrentes qu’il fait comme d’autres font des pauses clopes, et le français, celui du racisme systémique des flics qui le pistent jusqu’à la nausée et celui des auteurs qu’il côtoie en formation, comme Molière ou Victor Hugo. Parce qu’il est arabe, Brahim Koutari a été orienté vers un CAP qu’il refuse, obtient de passer un bac pro et, au lycée, découvre le théâtre qui le mène avec son atelier à la Cartoucherie de Vincennes, chez Ariane Mnouchkine. Tant pis pour ses rêves de footballeur au Real qu’il joue sur le plateau, il sera acteur, monte à Paris, passe par le stand-up sans percer, redescend et est admis en classe préparatoire intégrée d’une « école nationale », celle de Saint-Étienne. Tout ce déroulé, souvent adressé au public en cassant le quatrième mur, est paradoxalement presque lisse, tant chaque étape – toujours un évènement intrinsèque – chasse l’autre. Comme si le théâtre épousait le réel sans lui donner de relief, alourdi parfois par des termes épuisés tels que la « bienveillance » et le « sacrifice » des parents.
Mais c’est quand il évoque, sans esprit de vengeance, le lien à la police et à l’école que l’acteur, distribué au théâtre par Julie Deliquet dans Huit heures ne font pas un jour et Arthur Nauzyciel dans Les Paravents, mais aussi dans une série Netflix à venir, est le plus marquant. Il n’est plus sous les poursuites lumineuses du stand-up ni dans les costumes des rôles qu’il endosse en formation, mais il met sur le plateau brutalement, sans détour, le racisme et la violence de la police. Trois contrôles par semaine en quinze ans, « ça en fait 2340 », à seulement 29 ans. Répéter « Bicot, bougnoule, sale Arabe » pour entendre l’abjection de ces mots et rappeler, parce que c’est la même histoire, comment un flic avait déchiré l’anus de Théo lors d’une interpellation en 2018. C’est le corps qui est meurtri dans les deux cas, fait ressentir avec force le comédien. Autre moment fort de cette création : le récit d’une traversée de trois années vécues comme un « tunnel » lorsqu’il était élève à la Comédie de Saint-Étienne parce qu’on lui désigne une place, certes, mais en espérant qu’il n’en sorte pas. Dans ce projet personnel venu des tripes et où le rire surgit fréquemment, même les murs qui servent de décor sont désormais mouvants.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
24 Place Beaumarchais
Sur une idée originale de Brahim Koutari
Texte Adèle Gascuel, avec la complicité de Brahim Koutari
Mise en scène Catherine Hargreaves, en collaboration avec Adèle Gascuel
Avec Brahim Koutari
Scénographie Benjamin Lebreton
Lumière Stéphanie Daniel
Son Patrick Jammes
Costumes Suzanne Devaux
Assistanat à la mise en scène Angélique Heller
Construction décor Atelier de la MC2: GrenobleProduction MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale
Soutiens Ville d’Échirolles, Théâtre national populaire de Villeurbanne, Théâtre Ouvert – Centre national des dramaturgies contemporainesDurée : 1h10
MC2: Maison de la Culture de Grenoble — Scène nationale
du 7 au 16 octobre 2025Théâtre Gérard-Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis
du 6 au 16 novembreLa Rampe-La Ponatière, Scène conventionnée d’Échirolles
le 19 mars 2026Comédie de Colmar, Centre dramatique national Grand Est Alsace
du 8 au 9 avril
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