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Courir pour rester en vie

Coup de coeur, Les critiques, Marseille, Paris, Théâtre, Villeneuve d'Ascq

photo Benjamin Krieg

Présenté dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de la Bastille, Blind Runner, la dernière création d’Amir Reza Koohestani, saisit par son épure et l’austérité de son dispositif, ses dialogues ciselés et son réseau d’images qui viennent démultiplier à l’infini ses angles de vue. Et ses enjeux. Du grand art, taillé au couteau.

Le geste est tranchant, épuré jusqu’à l’os, radical. Et pourtant il est ample, ouvert, il créé du souffle là où il en manque justement. La dernière création du metteur en scène iranien Amir Reza Koohestani ne souffre aucune fioriture, aucun décor superflu, aucun maniérisme, aucun gras dans la structure. Au plateau, deux interprètes, un homme, Mohammad Reza Hosseinzadeh et une femme, Ainaz Azarhoush. En tenue simple, vêtements sportswear, confortables, et baskets. Tandis que le public s’installe, ils s’échauffent sobrement. Leur visage est grave et le restera tout du long quand bien même l’humour jaillit à plusieurs reprises de leurs conversations. Leur jeu est net, précis, droit. Tout comme la scénographie, toute entière contenue dans les jeux de lumière et de projections. La vidéo augmente un espace vide morcelé d’ombres, délimité par ses aplats au sol éclairés, carrés ou bandes de clarté sertis d’obscurité. Vision austère qui en dit long. Sur les possibles d’une liberté intérieure autant que sur les possibles de la cage de scène. Sur la chape de plomb qui règne en Iran.

Nous sommes au parloir d’une prison. Un couple s’y entretient à intervalle hebdomadaire. Elle est dedans. Il est dehors. Nous ne connaîtrons pas les raisons de son emprisonnement. Mais le contexte politique du pays permet aisément de l’imaginer. Nous ne connaîtrons pas non plus les raisons de sa distanciation. Pourquoi le pousse-t-elle à partir en France pour accompagner une coureuse aveugle lors d’un marathon ? Pourquoi se retire-t-elle progressivement du dialogue qui maintient leur couple ? Pourquoi semble-t-elle s’extraire petit à petit de la conjugalité jusqu’à disparaître du récit ? A l’image de l’étendue d’ombre qui envahit le plateau, les angles morts de cette histoire ne manquent pas mais n’empêchent nullement de s’y attacher. Car ils sont le fait, malheureux, d’une parole surveillée donc muselée. Tout ne peut être dit dans cet environnement de surveillance accrue qu’est le contexte carcéral. C’est une histoire à trous mais le fil n’est jamais coupé et le public est comme suspendu. Aux surtitres d’une part (le spectacle est en persan), à cette narration en ellipses qui joue du visible et de l’invisible, du dit et du non-dit, et s’organise autour de la course comme réponse aux mauvais tours de la vie. La jeune femme court entre les murs de sa prison. Le jeune homme court en dehors mais son inquiétude l’emprisonne à sa façon. Quelle que soit leur position, nul n’est libre totalement mais la course est un puissant exutoire, une échappatoire provisoire, un moyen de forer une liberté intouchable, d’explorer un monologue intérieur pris dans l’élan du mouvement. Le spectacle est rythmé par le bruit de leur foulée et le son de leur souffle, qui prennent le relais quand la parole s’achève.

L’homme partira. Il servira de guide coureur à la coureuse aveugle, interprétée par la même actrice, yeux fermés. Cette femme, qui a perdu la vue suite à une manifestation où elle fut blessée, pourrait être le pendant à l’extérieur de sa femme emprisonnée. Cette femme, enfermée dans sa cécité, voit paradoxalement plus loin que la compétition qui l’occupe. Son but ? Franchir la frontière qui sépare la France de l’Angleterre et y demander asile. Traverser les 27 km du tunnel sous la Manche en courant, entre le dernier train du soir et le premier train du matin. Blind Runner tresse trois destins, reliés par leur pays d’origine, leur jeunesse, leur désir de liberté et leur appétit de courir. Mais au-delà de ses situations concrètes qui affleurent à chaque dialogue, la pièce tisse un réseau de métaphores qui vient en élargir la portée et lui conférer des perspectives inouïes. Le dispositif vidéo en augmente l’impression. D’une grande beauté, les plans déploient de nouveaux angles, les profils apparaissent de face et vice versa, les visages s’y offrent en grand, les courses parallèles se croisent et se superposent, les amants séparés sont réunis dans un même cadre, une femme en devient une autre. C’est une magistrale leçon de mise en scène que ce spectacle qui dit l’enfermement autant que l’horizon, qui dit le jour et la nuit, l’évidence et le mystère, la contrainte et la liberté, qui dit le défi comme principe de vie.

Après avoir déroulé avec une délicatesse aiguisée son intrigue tendue et serrée, affutée comme un corps élancé dans sa course, Blind Runner s’achève en un couperet glaçant et lumineux à la fois, qui paradoxalement ne rompt pas son battement mais prolonge la représentation par la méditation qu’il insuffle.

Marie Plantin – Sceneweb.fr

Blind Runner
Texte et mise en scène Amir Reza Koohestani
Avec Ainaz Azarhoush et Mohammad Reza Hosseinzadeh
Dramaturgie Samaneh Ahmadian
Assistant à la mise en scène Dariush Faezi
Lumières et scénographie Éric Soyer
Vidéo Yasi Moradi et Benjamin Krieg
Musique Phillip Hohenwarter et Matthias Peyker
Costumes Negar Nobakht Foghani
Traduction française et adaptation surtitrage Massoumeh Lahidji
Opératrice surtitres Negar Nobakht Foghani
Production Mehr Theatre Group
Coproduction Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), Berliner Festspiele (Berlin), Athens Epidaurus Festival (Athènes), Festival d’Automne à Paris, Théâtre de la Bastille, La rose des vents – Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, La Vignette – Scène conventionnée Université Paul-Valéry Montpellier, Théâtre populaire romand – Centre neuchâtelois des arts vivants (La Chaux-de-Fonds), Triennale Milano Teatro (Milan), Noorderzon Festival of Performing Arts & Society (Pays-Bas) et Festival delle Colline Torinesi / Fondazione TPE (Turin)

Durée : 1h
Spectacle en persan surtitré en français
Présenté en coréalisation avec le Festival d’Automne à Paris

Du 5 au 20 octobre 2023
Au Théâtre de la Bastille

24 – 26 octobre
Triennale Milano Teatro – Italie

28 – 29 octobre
Teatro Astra, Festival delle Colline Torinesi – Italie

2 – 4 novembre
Théâtre populaire romand, La Chaux-de-Fonds – Suisse

18 novembre
Bundeskunsthalle – Bonn Allemagne

24 – 25 novembre
La Condition Publique – Roubaix (programmation dans le cadre de la saison nomade de La rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq)

28 – 30 novembre 2023
Théâtre la Vignette – Montpellier

Tournées en préparation janvier 2024 et Printemps 2024

8 octobre 2023/par Marie Plantin
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