Photo Vincent Pontet
La foisonnante et singulière Damnation de Faust d’Hector Berlioz est bien desservie par la malheureuse médiocrité d’une restitution théâtrale et musicale qui déçoit et ennuie au Théâtre des Champs-Élysées.
Après avoir été un Faust de Gounod éblouissant à l’Opéra de Paris, Benjamin Bernheim campe celui de Berlioz sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, et ce avec autant d’éclats et de joliesse élégiaque, mais un peu moins de ferveur. Si l’interprétation scénique paraît assez détachée, on y retrouve toutes les qualités musicales que l’on connaît du chanteur : clarté du timbre, souplesse de la ligne, aigus rayonnants même si un brin forcés. Le ténor se présente comme le grand triomphateur d’une triste et vaine soirée. Faire le choix de produire une nouvelle version de La Damnation de Faust est un pari évidemment risqué. L’œuvre si complexe à saisir n’est par essence pas vraiment un opéra dans le sens traditionnel du terme. D’ailleurs, le compositeur la définit comme une « légende dramatique ». Néanmoins, placer Les Siècles en fosse et confier la mise en scène à Silvia Costa laissaient présager une approche passionnante. Il n’en est rien tant ce qui a été donné à voir et à entendre le soir de la première transpirait l’inabouti et la vacuité.
Cela commence dès le lever de rideau où le personnage de Faust apparaît au centre de sa garçonnière. Il s’extirpe de dessous la couette pour chanter en caleçon sa gracieuse invocation à la Nature, puis s’adonne à des tâches domestiques avant de tout envoyer valser. Seule caractérisation perceptible : son attachement à l’enfance, qui s’offrira comme un maigre fil rouge. Sans doute atteint du syndrome de Peter Pan, Faust vit dans le monde révolu du passé, des peluches, des photos de famille en noir et blanc, des jeux en plastique, et notamment d’un pistolet avec lequel il fait mine de se suicider. Il manque des propositions fortes dans le travail réalisé par Silvia Costa, qui commet plusieurs erreurs, et notamment celle de plonger la représentation dans une constante banalité oscillant entre éléments d’une littéralité étrange pour qui connaît l’habituelle approche intellectuelle et scénique de l’artiste ou plus abscons, mais, dans les deux cas, bien peu dignes d’intérêt.
Son geste de faire monter l’orchestre sur le plateau pour la dernière partie ne serait-il pas la preuve qu’elle finit par abdiquer ? Au moins laisse-t-il la fosse libre et nue pour voir Faust entrer aux Enfers. Hélas, sa course vers l’abîme se résume à quelques maladroits sautillements et déplacements de pupitres. Les trépidantes tribulations de Faust n’ont paradoxalement cessé de stagner dans un espace souvent restreint, mal éclairé, inoccupé, concentré sur, sous et autour d’un lit, ce qui n’aide pas à rendre l’œuvre haletante. Et ce ne sont pas les chorégraphies mollassonnes, et encore moins l’orchestre comateux, qui vont réveiller la représentation. Le début est pourtant pétaradant sur la célèbre Marche Hongroise, mais l’exécution musicale devient vite lentissime et plate. Dirigés par Jakob Lehmann, les musiciens semblent manquer de justesse et de précision rythmique, mais surtout d’élan dynamique, de tension et de vibration.
La distribution est plus correcte. Le Méphisto de Christian Van Horn compense avec de très solides moyens vocaux une composition prosaïque et un insuffisant soin apporté à la diction. Victoria Karkacheva déploie un timbre riche et capiteux en Marguerite insaisissable, à la fois danseuse de cabaret, allégorie de la mort et femme au foyer stéréotypée, ce qui oblige la pauvre chanteuse à faire des effets de jambes, à ramper au sol de tout son long sous une couverture noire ou à enfiler un tablier de soubrette de vaudeville pour faire la popote. Elle parvient quand même à séduire et à émouvoir. Le jeune Thomas Dolié tire aussi son épingle du jeu. Les chœurs si importants dans l’œuvre sont relayés en coulisses la plupart du temps, ce qui ne les aide pas à trouver la netteté et à rester mobilisés. À la fin, ses membres forment le personnel d’une cour de justice, renvoyant probablement au jugement dernier. Le verdict est sans appel : cette Damnation de Faust n’est pas bien digne d’intérêt, si ce n’est celui de servir à réévaluer enfin la version d’Alvis Hermanis, autrefois fort décriée, mais nettement plus pertinente.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Damnation de Faust
d’Hector Berlioz
Direction musicale Jakob Lehmann
Mise en scène, scénographie, costumes Silvia Costa
Avec Benjamin Bernheim, Victoria Karkacheva, Christian Van Horn, Thomas Dolié
Orchestre Les Siècles
Chœur de Radio France
Chef de choeur Lionel Sow
Chef de chœur associé Joël Soichez
Maîtrise de Radio France
Direction de la maîtrise Marie-Noëlle Maerten
Collaboration à la mise en scène Laura Ketels
Collaboration aux costumes Ama Tomberli
Dramaturgie Simon Hatab
Scénographie Michele Taborelli
Lumières Marco GiustiProduction Théâtre des Champs-Élysées
En collaboration avec le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique françaiseDurée : 3h (entracte compris)
Théâtre des Champs-Elysées, Paris
du 3 au 15 novembre 2025


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