Benjamin Abel Meirhaeghe, un artiste au présent et hors du temps

Benjamin Abel Meirhaeghe – Tonnelhuis Anvers
Aussi précoce que prolixe, le jeune artiste flamand crée des spectacles hybrides à la croisée des arts et des temps. Dans Madrigals d’après Monteverdi (qui sera présenté à La Villette en avril dans la cadre du festival 100%), il propose un retour d’une beauté fascinante aux origines du monde et à l’esprit de communauté.
Né en 1995, passé par l’École d’art Ottogracht de Gand et diplômé de l’Académie de théâtre de Maastricht, Benjamin Abel Meirhaeghe est un artiste aussi singulier que complet. Contre-ténor autodidacte, performeur et metteur en scène à l’inspiration débridée, il n’est pas encore trentenaire qu’il se fait déjà le signataire de plusieurs spectacles grand format dans lesquels s’affirme, non sans une certaine jouissance candide, un univers très personnel où foisonnent tous les genres et langages artistiques qu’il affectionne : la peinture, la poésie, le théâtre, la musique, l’opéra et la danse s’y rencontrent et dialoguent.
Produire des objets scéniques neufs et inclassables à partir de formes anciennes, c’est ce qu’il cherche à faire en renonçant à tout ce qui assigne ou réduit le geste créateur. Fuyant l’académisme, lui préférant une esthétique parfois franchement exubérante, proche du carnaval ou de la science-fiction, il se méfie de la pure technicité et préfère laisser s’exprimer sa subjectivité et un irrépressible désir d’organicité.
Présentée au Toneelhuis d’Anvers en octobre dernier avant une prochaine tournée française au Tandem à Douai puis à La Villette à Paris et au Maillon à Strasbourg, sa création, Madrigals, s’inspire du huitième et dernier livre des Madrigaux de Claudio Monteverdi, intitulé Chants d’amour et de guerre, une partition aussi sensuelle que plaintive revisitée, mais jamais dénaturée, par le musicien électro-pop expérimental Jesse Kanda, connu pour sa collaboration artistique avec Björk entre autres.
La pièce dont l’esthétique paraît d’inspiration New Age s’offre comme une célébration de l’union et de la libération des corps. Huit interprètes (six danseurs et deux chanteurs) évoluent dans une nudité physique primale. Renvoyés à l’état de nature, ils s’apprivoisent et vivent ensemble au cours d’un harmonieux rituel originel. A travers une danse, voire une transe, émaillée de gestes aussi élémentaires que fondamentaux (marche, saut, course, étreintes…), de franches accolades et d’assauts tranquilles bien que sauvages, ils font communauté.
Madrigals s’ouvre sur une sorte de chaos sonore qui s’apparente à un Big Bang. Derrière un rideau de scène étroitement fissuré se laisse apercevoir un monde vierge et obscur, troué d’éclairs et de fumigènes. D’un grondement sourd et vrombissant s’extrait tout en finesse la musique de Monteverdi d’abord chantée autour d’un feu de camp puis dans l’enceinte magique et matricielle d’une grotte de Platon qui apparaît grâce aux moyens les plus ancestraux du théâtre : des toiles peintes qui descendent des cintres.
Ainsi, le spectacle s’offre comme une machine à remonter le temps jusqu’à atteindre le « point zéro » de l’humanité. Benjamin Abel Meirhaeghe invite les spectateurs à une expérience émotionnelle et sensorielle où se questionne le commencement d’une civilisation et s’exalte un onirisme primitif qui enchante.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le palmarès de Christophe Candoni
La comédienne la plus drôle et nostalgique : Catherine Hiegel dans Music-hall de Jean-Luc Lagarce mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo
Des héros à la beauté solaire et magnétique : Mélodie Richard et Mounir Margoum dans Antoine et Cléopâtre mis en scène par Célie Pauthe
Le spectacle le plus joyeusement fou et horrifique : Le Mariage forcé mis en scène par Louis Arene
Le spectacle le plus magistralement apocalyptique : Résurrection d’après Mahler par Esa-Pekka Salonen et Romeo Castellucci
Le spectacle le plus physiquement olympique : One Song – Histoire(s) du théâtre IV de Miet Warlop
Le spectacle le plus sensuellement chic et volcanique : Le Couronnement de Poppée de Monteverdi par Leonardo García Alarcón et Ted Huffman
La chorégraphe la plus férocement histrionique : Marlene Monteiro Freitas pour l’ensemble de son Portrait au festival d’Automne
Le spectacle le plus éternellement emblématique : Tempest Project de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
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