À la Belle Scène Saint-Denis, un panorama estival et esthétique

Photo Théâtre Louis Aragon

Au Festival Off d’Avignon, dans le cadre de la Belle Scène Saint-Denis, le Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France a présenté une déclinaison des artistes qu’il accompagne tout au long de l’année. Au programme : la breakdance ukrainienne d’Olga Dukhovna, les délires historiques de Gaëlle Bourges autour de la tapisserie de Bayeux et les expérimentations amusantes entre voix et gestes de Zoé Lakhnati et Per-Anders Kraudy Solli.

Crawl d’Olga Dukhovna

Après le succès de son solo Swan Lake, Olga Dukhovna – par ailleurs programmée dans le cadre de la première série de Vive le sujet ! Tentatives avec Un spectacle que la loi considérera comme mien – poursuit son travail de relecture et de revisite du patrimoine de la danse classique et traditionnelle, l’une et l’autre hybridées avec des langages plus contemporains. Dans Crawl, une pièce aussi courte que fulgurante, sa recherche de « recyclage chorégraphique », comme elle la nomme, repose sur l’alliance insolite et édifiante des pas de danse folklorique ukrainienne et des figures de breakdance.

Dès son entrée en scène, son unique interprète, Serhii Prokopenko, alias Uzee Rock, un Bboy de renommée internationale et très présent sur les réseaux sociaux, se montre impressionnant de force physique et de virtuosité technique. À l’instar d’un glorieux cosaque, accroupi et restant perpétuellement au ras du sol, il offre d’héroïques tours de piste et se lance dans des séries de flexions-extensions des jambes hyper-flexibles sur le rythme d’une musique pétaradante. En constant équilibre sur ses pieds bien ancrés ou sur une main, genoux pliés, visage figé, il défile et virevolte, tout en alerte vélocité. La mécanique parfaitement huilée s’apprête néanmoins à vaciller au point de céder à un geste plus tortueux, voire douloureux. La fière façade affichée se fissure pour dévoiler une furtive faille, une fébrilité que conjure la fin de la performance, lorsque l’artiste sur ressorts et en résistance trouve triomphalement la verticalité.

Photo Théâtre Louis Aragon

Guillaume & Harold (extraits) de Gaëlle Bourges

Après Le Verrou (2012), où l’on pénétrait dans un tableau de Fragonard du XVIIIe siècle, et À mon seul désir (2014), où l’on voguait dans la tapisserie médiévale de La Dame à la Licorne, Gaëlle Bourges investit la tapisserie de Bayeux dans Guillaume & Harold. Célèbre œuvre de propagande normande du XVIe siècle, elle transcrit sur 69 mètres la bataille d’Hastings et la conquête de l’Angleterre par Guillaume Le Bâtard, devenue Le Conquérant. Les danseurs Camille Gerbeau et Pedro Hermelin Vélez incarnent Guillaume Ier de Normandie et Harold Godwinson, dernier roi anglo-saxon d’Angleterre, en faisant jaillir l’expressivité qui se dégage des figures brodées de l’œuvre originale.

Comme dans un jeu pour enfants grandeur nature, les interprètes se saisissent d’accessoires en carton pour représenter les éléments du décor (fleurs, oiseaux ou griffons) et les accessoires (heaumes, épées et boucliers). La chorégraphe incarne cette œuvre avec sa facétie habituelle, imitant la voix posée de l’audioguide du musée de la fameuse tapisserie – un peu plus critique de l’originale, elle pointe toutefois la quasi-absence de personnages féminins – et transposant l’action dans un jeu vidéo, à coups de bruitages. Avec toujours autant de finesse, Gaëlle Bourges nous entraîne dans son approche décalée et critique de l’histoire de l’art.

Photo Théâtre Louis Aragon

Where the fuck am I ? de Zoé Lakhnati et Per-Anders Kraudy Solli

Les performeurs Zoé Lakhnati et Per-Anders Kraudy Solli, tous deux passés par P.A.R.T.S., l’école de la ponte de la danse contemporaine flamande Anne Teresa De Keersmaeker, expérimentent les relations entre voix et corps dans Where the fuck am I ?, zapping frénétique, aussi étrange que jouissif. Assis sur une grosse enceinte, Per-Anders Kraudy Solli, en marcel et pantalon noir, déblatère une succession de fragments de texte, où se nichent de multiples références à la pop culture. Film d’action, routine beauté d’une influenceuse et onomatopées du chanteur Michaël Jackson y passent, dans un condensé qui fait autant écho à la télévision des années 1990 qu’à la culture Internet.

Ces bruitages sont incarnés par la danse de Zoé Lakhnati, qui les mime en suivant le rythme effréné du vocaliste, sur un tapis en moumoute violette. Tour à tour, elle imite un animal à quatre pattes, avant de se remettre debout pour incarner le héros d’un film de guerre percuté par les balles sur un champ de bataille. Si ses gestes soutiennent et accompagnent la voix au départ (ou est-ce le contraire ?), elle s’amuse au fur et à mesure à changer le rythme et à aller contre cette bande-son intense. Réconciliant corps et voix dans un seul corps, Per-Anders Kraudy Solli se met à son tour à danser, en imitant la danse emblématique, aux gestes secs, de Michael Jackson. Un délire qui témoigne autant de la virtuosité que de la complicité de ce jeune duo prometteur.

Christophe Candoni et Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr

Crawl
Chorégraphie Olga Dukhovna
Avec Serhii Prokopenko, alias Bboy Uzee Rock
Composition sonore Mackenzy Bergile
Design costumes Soraya MoBé
Dramaturgie Simon Hatab
Régie générale Denis Malard
Composition lumière Erik Houllier

Production C.A.M.P – Capsule Artistique en Mouvement Permanent
Coproduction Théâtre Louis Aragon – Scène conventionnée d’intérêt national Art et création – danse à Tremblay-en- France, Le Triangle – Cité de la Danse à Rennes
Soutien Quai 9 – Théâtre de Lanester, CCNRB – Collectif FAIR-E, DRAC Bretagne

C.A.M.P reçoit le soutien de la DRAC Bretagne, de la Région Bretagne, du Département du Morbihan, Lorient Agglomération, les Villes de Lorient et Plouhinec.

Durée : 30 minutes

Vu en juillet 2025 à La Belle Scène Saint-Denis, dans le cadre du Festival Off d’Avignon

Le Triangle, Rennes
le 19 mars 2026

L’Étincelle, Rouen
le 29 avril

Guillaume & Harold (extraits)
Conception Gaëlle Bourges
Récit Gaëlle Bourges, d’après le récit délivré par la broderie de Bayeux
Avec Camille Gerbeau, Pedro Hermelin Vélez
Accessoires et costumes Gaëlle Bourges, Anne Dessertine, Camille Gerbeau, Pedro Hermelin Vélez, Jean Loison
Musique Stéphane Monteiro aka XtroniK, guests du 11e siècle, ABBA
Régie Nicolas Bordes

Production déléguée Centre chorégraphique national de Caen en Normandie
Coproduction L’Association Os, Chorège CDCN Falaise Normandie, Le Triangle – Cité de la Danse

L’Association OS est soutenue par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture au titre de l’aide au conventionnement et par la région Île-de-France au titre de l’aide à la permanence artistique et culturelle.

Durée : 20 minutes

Vu en juillet 2025 à La Belle Scène Saint-Denis, dans le cadre du Festival Off d’Avignon

Where the fuck am I ?
Chorégraphie et performance Zoé Lakhnati, Per-Anders Kraudy Solli
Scénographie Cassandra Cristi

Soutien Mécènes du Sud dans le cadre de Canal Royal 2022 ; CRAC OCCITANIE, Sète ; Théâtre Molière, Scène nationale de Sète et du Bassin de Thau ; P.A.R.T.S Bruxelles ; KLAP Maison pour la danse de Marseille ; SpinOff Forstudium i Dans, Oslo

Durée : 40 minutes

Vu en juillet 2025 à La Belle Scène Saint-Denis, dans le cadre du Festival Off d’Avignon