Avec Back to reality, Catherine Hargreaves signe un spectacle splendide sur sa sœur porteuse d’une trisomie 21 aujourd’hui décédée. Si bien sûr, la réflexion sur le handicap et son acceptation par la société nimbe cette création, c’est bien dans son approche sensorielle que la metteuse en scène, actrice et autrice épate.
Avec un « boys-band » d’acteurs électriques et sa complice Adèle Gascuel, Catherine Hargreaves fait aussi spectacle de la fabrique du théâtre. Il y a Rachel, la plus âgée des Hargreaves et la plus petite en taille, porteuse d’une trisomie 21. Il y a Catherine, la plus jeune, la plus grande aussi ; elle est au plateau. Et puis Rebecca, la troisième sœur, celle du milieu, qui a entrepris (avec son compagnon Joffrey) un documentaire, « Territoire des sœurs », sur leur parcours commun mais évaporé avec l’ordinateur qui s’est crashé. Il n’en reste que quelques rushes silencieux. À Catherine de reprendre le flambeau. Elle veut y adjoindre la Manif pour tous, Boris Johnson, le Brexit, Patrick Sébastien, Claude François…
Tout cela est sur un mur de ce décor simple et presque futuriste avec ses portes aux angles arrondis à cour et à jardin. Des papiers, des photos, des post-it et, sur le bureau, un mini banc de montage projeté sur un écran mobile. Il va falloir mettre les mains dans cette matière, qui au fil de cette heure quarante-cinq, va s’avérer géniale. La malaxer. Car tout est affaire de « faire ». De façon artisanale, Catherine Hargreaves trace cette histoire radieuse qui a inondé sa vie et celle de ses proches car vivre avec Rachel a été une joie permanente au gré notamment de ses aventures en avion (mais que s’est-il donc passé pour qu’Air France envoie à leurs parents une interdiction d’embarquer à l’encontre de cette enfant ?), dans une cabine téléphonique ou à l’école (où Catherine Deneuve raccompagne cette petite fille égarée). Des anecdotes transformées de manière gênante voire indécente en petites blagues de théâtre ? Evidemment pas ! « Back to reality » est habité par le désir de ne pas faire de Rachel un « clown » ou une « plus-value » à la metteuse en scène. Et, en exposant les doutes sur la fabrication de ce spectacle, en énonçant des faits (la stérilisation faussement consentie par Rachel) qui ne peuvent pas trouver place, en questionnant même la nécessité de la présence des acteurs, elle pare aux difficultés, les affrontant et les solutionnant en langage théâtral.
Avec Adèle Gascuel, sa compagne en privé (présentée comme telle et partie prenante de ce récit familial) et au travail (de fait), Catherine Hargreaves invite un trio masculin pour incarner les séquences de la vie de Rachel, ses chansons (voilà enfin qu’entendre Joe Dassin sur un plateau de théâtre se justifie), ceux et celles qu’elle a croisé, y compris les soignants qui l’ont assommée de médicaments à la fin de sa vie jusqu’à ce qu’elle décède d’une bien opaque « défaillance multiviscérale » apprendront les parents un mois après. Eux, ce sont les irrésistibles François Herpeux (déjà dans de nombreux travaux depuis longtemps de Catherine Hargreaves et récemment les Tim Crouch « Moi, Fleur des pois » et « Moi, Malvolio ») et Raphaël Defour. C’est aussi, le comédien britannique George Webster, le « plus cher » des trois (comme il est énoncé), star dans son pays et porteur de trisomie. Une caution ? Non mais ça va mieux en se posant la question. Ensemble, ils mélangent allégrement l’anglais et le français, comme un surplus de vigueur.
Back to reality est d’une drôlerie quasi constante mais frise la sentence – tout en disant se départir de toute condamnation – dans sa dernière partie explicative (sur les ESAT et les institutions d’aide médicalisée), pointant le besoin criant de moyens pour que aidants puissent aider. La question du recours systématique à l’avortement en cas de diagnostic de trisomie sur un fœtus est traitée de façon à la fois trop expéditive et trop insistante (c’est un sujet dans le sujet), de même que le rapport à l’Angleterre, cette terre dont sont issus les parents de la famille mais où Catherine n’a jamais vécu, est presque décalée. Comme si, en bout de course, il fallait avaler toutes les thématiques listées au début. En s’éloignant ne serait-ce qu’un instant de Rachel, « Back to reality » perd un peu de sa force. De même avec la lettre finale pourtant adressée à la disparue mais qui fait bégayer tout ce qui s’est déroulé avec tant de justesse jusque-là.
Car Catherine Hargreaves a fabriqué un spectacle d’une incroyable vitalité sans atermoiement, dans lequel elle boucle presque une première partie de vie, avec des clins d’œil aux éléments de spectacles précédents (le tunnel du « Monde merveille de Dissocia », la mer et les vagues de « La Ballade du vieux marin »). Elle a réussi à rendre possible son équation de départ si compliquée. Une ode à Rachel mais aussi au médium qu’elle a choisi : le théâtre.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Back to reality
Écriture et mise en scène : Catherine Hargreaves
Dramaturgie et co-écriture : Adèle Gascuel
Jeu : Raphaël Defour, Adèle Gascuel, Catherine Hargreaves, François Herpeux, George Webster
Scénographie : Benjamin Lebreton
Vidéo : Maëlys Meyer
Assistanat à la mise en scène : Jo Gardony
Création et régie lumières : Sandrine Sitter
Création son et régie son & vidéo : Nicolas Hadot
Régie générale : Nours
Archives de film documentaire : Rebecca Hargreaves et Joffrey DieumegardCoproduction : Le Vivat, Armentières (59) / TNG-CDN de Lyon (69) / MC2, Scène nationale de Grenoble (38) / La Mouche, Saint-Genis-Laval (69) / CNCA, Morlaix (29) / Le Point du Jour, Lyon (69) / Le Lieu-dit, Claveisolles (69)
Soutiens : Institut français (lauréate 2020 des Résidences sur mesure) / The Red House, Aldeburgh, UK / La Chartreuse, CNEC, Villeneuve-lez-Avignon (30).
Avec l’aide à la recherche de la Région Auvergne-Rhône-Alpes
Création le 5 mars 2024 à la MC2 – GrenobleDurée : 1h45
Au Théâtre du Point du Jour – Lyon
Les 9, 10 et 11 mars 2024La Mouche – Saint Genis Laval (69)
Le 13 marsLe Vivat – Armentières (59)
Le 16 mars
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