Grand Prix du Festival de l’Alpe d’Huez 2025, ce film solaire et léger arrive à point nommé en amont du festival qui donne son titre à cette comédie feel good sur fond de cigales et de mistral. Car Avignon est certes une ville charmante du sud de la France, mais elle est aussi, et surtout, l’écrin annuel du plus grand festival de théâtre au monde, rendez-vous incontournable des amateur·rices de spectacle vivant.
Halo de lumière douce et de fraîcheur juvénile sur l’image qui sert d’affiche au film : Baptiste Lecaplain et Elisa Erka, tenues légères, PAC à l’eau de rigueur en main, s’offrent un sourire réciproque sur fond de platanes (de rigueur aussi). L’ambiance est clairement estivale et le titre ne prend pas de détour : nous voilà projetés en pleine rue des Teinturiers, à Avignon, au point culminant de la saison, à savoir pendant le festival international de théâtre réunissant public et compagnies du monde entier au mois de juillet. Le sujet vaut son pesant de foule, de couleurs, de rues festives, de brouhaha et de cigales, de spectacles à plein temps en salles ou en plein air. Mais le cinéma avait jusqu’à présent plutôt détourné le regard. Hormis le film de Diastème, généreux et attachant, qui rendait bien compte de l’atmosphère (Le Bruit des gens autour, sorti en 2008), peu de cinéastes s’étaient emparés de ce contexte électrique pour en faire le personnage principal de leur film.
Avignon est le premier long-métrage de cinéma de Johann Dionnet, et l’on y sent un réel attachement à l’évènement et de véritables affinités avec les joies du théâtre. Le contexte est rapidement planté : un jeune comédien en galère récupère un rôle vacant au sein d’une équipe qu’il connaît bien et les voilà partis pour un mois sous haute intensité. Tous les ingrédients et passages obligés du Festival Off sont de la partie : galères de thune, collage d’affiches, tractages et parades, terrasses bondées, fêtes sélectes où s’incruster, plans cartes postales sur le Rhône, le fameux pont et le Palais des Papes, amourettes et soirées tardives. Le soleil est au max, les aficionados reconnaîtront les rues, les places et même les théâtres. Stéphane joue dans une comédie de boulevard au titre évocateur, Ma Sœur s’incruste, au Palace, quand il recroise Fanny, une comédienne rencontrée lors d’un stage qui manifestement lui avait tapé dans l’œil. À la faveur d’un malentendu, l’intrigue s’enclenche. Un peu surfaite au début, elle s’épaissit au fur et à mesure jusqu’à nous retourner comme un gant.
Sans prétention, misant sur un scénario bien ficelé, une mise en scène claire et référencée, des répliques bien huilées, le film prend les traits d’une comédie populaire dont la force est indubitablement le contexte, l’ambiance de festivité aux alentours. Mais pas que. Au cœur des enjeux du film, au-delà même de la bluette sentimentale qui se noue, ce qui est ici mis en lumière et problématisé par la narration, c’est ce hiatus, pas seulement entre le In et le Off, mais entre un théâtre de répertoire et savant d’un côté et, de l’autre, ces pièces de boulevard bien grasses destinées à amuser la galerie. L’esprit de sérieux versus la gaudriole. Celles et ceux qui fréquentent Avignon l’ont expérimenté, il y a à boire et à manger dans ce festival. Le meilleur comme le pire se côtoient et jouent des coudes dans la fournaise. Et les torchons ne se mélangent pas avec les serviettes. Alors, lorsque Stéphane rencontre Fanny, au-delà de l’attirance qu’il a pour elle, ce qui se joue entre eux, dans la différence effarante de leurs goûts respectifs – elle ne jure que par les vers enflammés de Corneille, il s’ennuie quand ça sent la poussière –, est la version intime de ce fossé.
Les préjugés, le snobisme, le mépris intellectuel des uns à l’égard des ringards et des ploucs s’incarnent dans cette jeune fille éprise de théâtre et sa bande d’ami·es. On est dans un camp ou dans l’autre, pas entre les deux. Et le Festival d’Avignon concentre et cristallise en ce sens, dans un lieu et un temps donné, la violence de l’élitisme, les inégalités économiques et les rapports de classes. Sans faire un film à thèse – ce n’est pas le projet –, ni un film social engagé – ce n’est pas non plus le propos –, Johann Dionnet fait du festival le petit théâtre des gens de culture, et parvient à donner corps à ce fossé, à cette dualité intrinsèque qui sépare la crème de la crème du clan des beaufs. Le réalisateur en fait le sel de son intrigue et manipule avec aisance et sens du rythme les codes du marivaudage et les tours de passe-passe de son héros pour approcher l’élue de son cœur.
Tous les ingrédients de la comédie classique tissent un scénario drôle et touchant saupoudré de tirades bien amenées. Un pas de deux où se tournent autour nos deux têtes d’affiche dans le tourbillon fou des représentations. Baptiste Lecaplain et Elisa Erka, parfaits dans leurs rôles, ne jouent pas la caricature et nuancent leur interprétation, au plus près des contradictions de nos vies, des dilemmes et glissements. En faisant un pas l’un vers l’autre, chacun déteindra sur l’autre et évoluera. Et, s’ils portent avec grâce le film, les seconds rôles ne sont pas en reste et témoignent d’une distribution homogène et judicieusement composée. Mention spéciale à Amaury de Crayencour, absolument génial en copain snob insupportable, à Lyes Salem, en chef de troupe dépassé au bord de la crise de nerfs, et à Alison Wheeler, aussi pétulante qu’émouvante en pilier d’équipe toujours prête à aider. Tous·tes et tous les autres participent de la dynamique généreuse à l’œuvre dans le film et l’esprit de troupe autant que l’Avignon Spirit sont habilement représentés.
Avignon n’est pas seulement un décor, son festival irrigue tout le film, le théâtre s’invite dans l’histoire, affecte les personnages et s’infiltre dans leurs actes, les contamine malgré eux. L’exploit scénique, mélange de bravoure et d’inconscience, de Stéphane (que nous ne dévoilerons pas ici pour ne pas éventer le climax du film) est une petite jubilation scénaristique que la séquence finale achèvera de faire crépiter. Comédie attachante qui n’a pas d’autre prétention que de divertir gaiment, Avignon a le mérite d’être un témoignage fidèle de l’ambiance avignonnaise.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Avignon
Réalisation Johann Dionnet
Avec Baptiste Lecaplain, Alison Wheeler, Elisa Erka, Lyes Salem, Rudy Milstein, Johann Dionnet, Amaury de Crayencour, Romain Francisco
Scénario et dialogues Benoit Graffin, Johann Dionnet, Francis Magnin
Production Mathieu Ageron, Maxime Delauney, Romain Rousseau
Producteur associé Yoann Scherb
Musique originale Sébastien Torregrossa
Directeur de la photographie Thomas Rames
Cheffe monteuse Sylvie Landra A.C.E
Chef décorateur Frédéric Grandclère
Cheffe costumière Dorothée Lissac
1ère assistante de casting Anne Fremiot
1ère assistante réalisatrice Fany Pouget
Scripte Elma Timoteo
Chef opérateur son Philippe Welsh
Directeur de production Jean-Marc Gullino
Régisseur général Serge Szwarcbart
Direction de post-production Aurélien Adjedj-FlamingozProduction Nolita
Coproduction Studio TF1, France 2 Cinéma, Benjamin Zeitoun, GLMC
Avec le soutien de Canal+
Avec les participations de Ciné+ OCS, France Télévisions, TMC, TV5 Monde
Avec le soutien de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur en partenariat avec le CNC, du Département du Vaucluse, du CNC et du fonds de dotation Proarti
Distributeur France Warner Bros. Pictures et Studio RF1Durée : 1h43
Sortie en salles le 18 juin 2025
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