Dans un seule en scène extrêmement tenu, la comédienne Aurélie Pitrat retrace la vie de l’actrice hollywoodienne Hedy Lamarr. Qui, parce qu’elle fut la première femme à être filmée nue au cinéma, n’a jamais été reconnue pour ses inventions scientifiques. Justice lui est désormais rendue, avec rigueur et un grain de folie.
Elle nous dit bonjour dans le hall, puis elle va prendre place sur le plateau. Vêtue d’un peignoir, pieds nus, Aurélie Pitrat s’installe sur un fauteuil encastré dans un mur d’objets. Elle fait partie des meubles et se fige – sa posture ne bougera pas. Pourtant, elle vit encore. Elle incarne une vieille dame à la fin de sa vie qui regarde en arrière, un whisky à la main, sinon rien. « Bandante, hein ? C’est moi. Le plan dure sept secondes. Il m’a rendue célèbre dans le monde entier. J’ai été déclarée la femme la plus belle du monde et quelques millions d’hommes se sont masturbés sur moi. Je mets quiconque au défi d’atteindre un tel score ». La pièce se lance ainsi pendant que défilent en boucle sur une télé incrustée dans le décor ces sept secondes d’éternité filmées par Gustav Machatý en 1938 dans Extase. Walt Disney s’est même inspiré du corps de la comédienne pour dessiner Blanche-Neige.
Sur le plateau, le personnage d’Hedy Lamarr rumine. Tout ce qu’elle a fait après cet épisode n’a pas été reconnu. Pourtant, en 1941, elle invente un « mécanisme pour des torpilles radioguidées » que l’ennemi ne peut plus contrer, car il ne diffuse pas une, mais jusqu’à 88 fréquences en alternance. Le brevet est déposé, mais la Navy la dépossède de ce qui est, au final, ne pose rien de moins que les bases technologiques du Bluetooth et du Wifi. Mariée six fois, abimée par la chirurgie esthétique, elle meurt en 2000, à 85 ans, mais Aurélie Pitrat lui confère une rage revigorante pour l’extraire de sa condition d’objet perpétuel.
C’est en plein confinement que l’artiste native d’Avignon, et aujourd’hui installée en Corse, découvre ce texte de l’autrichien Peter Turrini sur le site de la Maison Antoine Vitez. Immédiatement, elle désire le monter pour la première fois en français et en France. La première a lieu en 2022. Et cette création s’inscrit dans la lignée de ce qu’elle a pu faire précédemment, dans un premier temps avec le mémorable collectif déjanté Nöjd, puis avec sa compagnie Animal 2nd. Car l’écriture de Turrini, autant que le sujet qu’il s’est choisi, ressemble à s’y méprendre à celle de son compatriote Thomas Bernhard. Il y a cette forme de sarcasme qui n’est pas un effet de style, mais bien l’expression d’un malaise d’un personnage inadapté à une société normée, patriarcale et castratrice, et qui utilise parfois des armes de maltraitance pour surnager dans ces eaux sombres. En 2017, Aurélie Pitrat a monté Déjeuner chez Wittgenstein du génial Viennois. Précédemment, elle s’était épanouie dans l’écriture d’Howard Barker, chantre du « théâtre de la catastrophe », qui lui confia même l’un de ses textes pour, là encore, une première française : Innocence (2014).
Dans ce spectacle, durant 1h30 – une durée ambitieuse pour un solo –, elle va crescendo, mais en prenant son temps, détachant les syllabes. Elle marque des nuances, regarde le public en brisant régulièrement un quatrième mur qui n’a pas lieu d’être ici. À mille lieues du stand-up, elle n’assène rien et décortique la biographie d’Hedy Lamarr avec une grande minutie, parvenant à opérer une douce traversée de cette existence passionnante et rocambolesque. Et déleste ainsi cette icône glamour du XXe siècle des fantasmes qui l’ont figée dans sept secondes d’éternité.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Sept secondes d’éternité
de Peter Turrini
Traduction Silvia et Jean-Claude Berutti-Ronelt
Conception et jeu Aurélie Pitrat
Collaboration artistique et direction d’actrice Olivier Barrère, Nathanaël Maïni, Virginie Schell
Costumes, scénographie Thomas Marini
Lumières Lionel Petit
Construction Raphaël Soleilhavoup
Peinture Delphine Chmielarski
Régie Christophe RicardProduction Animal 2nd
Coproduction et soutiens Collectivité de Corse ; Pôle de formation et d’éducation par la création théâtrale l’ARIA à Olmi Capella ; Théâtre Municipal de Bastia ; AGHJA — scène conventionnée Théâtre et Musiques actuelles d’AjaccioDurée : 1h30
Vu en février 2025 au Théâtre de l’Élysée, Lyon
Théâtre de La Reine Blanche, Paris
du 1er au 6 avril 2025
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