Le collectif La Bande à Léon présente La mer de Poséidon en caddie, une création issue d’un imposant travail de collecte de terrain autour des supermarchés, portée par la langue bouleversante de Vhan Olsen Dombo.
« Au commencement de toute ville, il y a un supermarché ». Le supermarché, c’est le point de départ de La mer de Poséidon en caddie, mis en scène par Audrey Bertrand. La pièce, fruit d’un important travail d’enquêtes mené par la troupe de La Bande à Léon, explore notre rapport à ce lieu unique : à la fois temple de la consommation et endroit familier et rassurant. Pendant trois ans, le collectif a réalisé de nombreux entretiens avec des consommateurs, employés de supermarchés, producteurs… Un « journal de supermarché » a également été créé : à la manière d’Annie Ernaux dans son ouvrage Regarde les lumières mon amour, chacun retranscrit ses ressentis et impressions lors d’un passage dans un supermarché. Les 1 000 pages de ce journal ont été noircies par de nombreux consommateurs, mais aussi des élèves d’établissements scolaires d’Île-de-France, d’Alsace et de Franche-Comté. Ce sont ces collectes de terrain qui ont nourri le travail au plateau et l’écriture.
L’histoire est simple : deux marins dont les filets sont vides sont portés disparus en mer. Leurs poissons n’approvisionnent plus le supermarché local. Un étal vide qui fait tache dans une atmosphère de consommation hystérique. Cet incident va alors enrayer un mécanisme parfaitement huilé : les consommateurs, habitués à l’accessibilité inconditionnelle de produits fiables et bon marché, sont déstabilisés. L’ordre des choses est alors complètement chamboulé par cet incident et va compromettre consommateurs et employés… jusqu’à la folie.
À travers différents tableaux loufoques – un défilé promotionnel déjanté, une chorégraphie disco pour l’ouverture du magasin –, la pièce interroge avec malice la place que prend le supermarché dans nos vies. Car, au delà d’y faire nos courses, le supermarché est un lieu de sociabilisation et de souvenirs. On y croise un ami de longue date, on y rencontre pourquoi pas l’amour. « Pendant le confinement, aller faire mes courses était le seul moyen de voir des gens », nous confie l’enregistrement audio diffusé sur scène d’une consommatrice. C’est Henri, le gérant du magasin, qui porte fièrement le discours d’un supermarché-eldorado, nécessaire, populaire et impartial : « Nous sommes le souffle de l’économie nationale. Le cœur battant de la grande consommation nationale. Nous sommes l’emploi et le chômage. Un fétiche puissant de notre société », clame-t-il. Dans un délire promotionnel inextinguible, chacun de ses employés se mue alors en « Prométhée de la promotion, en Égée enivrée des idées nouvelles, en Pandore qui accueille la joie de consommer ». Le supermarché prend des airs de temple profane, de « grand rendez-vous humain ». C’est bien cette langue, celle de l’auteur congolais Vhan Olsen Dombo, qui transcende le sujet. La réflexion pourrait être sociologique, mais l’auteur la place définitivement sous le sceau de la poésie. La langue est riche, espiègle et tendre, là où le sujet pourrait être trivial.
Au plateau, c’est le travail lumières et vidéo de Gaëtan Trovato qui nous happe. Des étals d’une blancheur immaculée – imaginés par la scénographe Alix Mercier – sont animés par des visuels vidéoprojetés : des caddies, des consommateurs qui déambulent, des produits en tous genres viennent danser sous nos yeux. Ce travail visuel vient donner un peu de profondeur au plateau et permet une grande diversité d’ambiances. Si la troupe de La Bande à Léon est composée de jeunes talents pleins de vitalité, c’est le jeu de Noé Pflieger qui se démarque dans le rôle d’Henri. Il excelle en manager survolté et tyrannique, mais aussi en homme tourmenté dont les certitudes viennent d’être ébranlées par la disparition de son frère, pêcheur en mer. Surtout, le collectif nous propose une création juste, drôle et intelligemment poétique.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
La mer de Poséidon en caddie
Texte Vhan Olsen (Le Lys Bleu Éditions)
Mise en scène Audrey Bertrand
Avec Robin Betchen, Sylvain Lablée, Marine Maluenda, Noé Pflieger, Antoine Quintard
Assistanat à la dramaturgie Dina El Guebali
Scénographie Alix Mercier
Costumes Malou Galinou
Vidéo Gaëtan Trovato
Son Florent Collignon
Lumières Rudy SanguinoProduction Collectif La Bande à Leon
Coproduction Théâtre de Brétigny Scène conventionnée Arts et Humanités
Avec le soutien du Tangram – Scène Nationale d’Evreux-Louviers, de l’Anis Gras – Le lieu de l’Autre, de Lilas en Scène, de la Ville de Boussy Saint-Antoine, du Conseil départementale de l’Essonne, de la Région Ile-de-France Bourse des Auteurs, et de l’ADAMIDurée : 1h30
Vu en novembre 2022 aux Déchargeurs, Paris
Les 3T — Théâtre du Troisième Type, Saint-Denis
du 23 au 31 janvier 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !