Plus de 260 représentations, des décors pharaoniques et des costumes extravagants: le Metropolitan Opera a fait ses adieux cette semaine à l’interprétation classique d’Aïda, illustration de la mue dans laquelle la prestigieuse institution new-yorkaise est engagée.
Cette production, interprétée pour la première fois au Met en 1988, a longtemps été acclamée pour sa restitution très fidèle de l’opéra de Verdi, mettant en scène les amours compromis d’Aïda, princesse éthiopienne captive, et du général égyptien Radamès. Conçue par l’Anglaise Sonja Frisell avec les décors de l’Italien Gianni Quaranta, cette mise en scène est célèbre pour sa marche triomphale, l’air le plus connu d’Aïda — un tour de force théâtral de 15 minutes, avec de vrais chevaux, des hordes de danseurs, et de nombreux cortèges.
Une scène qui a encore ravi le public réuni une dernière fois jeudi dans cette salle majestueuse, conquis par la performance de la soprano Leah Crocetto et du ténor Jorge de Leon.
Tradition et modernité
Aïda fera bien son retour au Met lors de la saison 2024-2025, mais dans une mise en scène complètement revisitée de l’Américain Michael Mayer avec des décors de catacombes et des effets d’éclairage novateurs. La soprano afro-américaine Angel Blue campera le rôle d’Aïda. « Il va être très excitant de présenter une nouvelle mise en scène », explique Peter Gelb, directeur du Metropolitan Opera, qui cherche à rajeunir son public sans perdre ses habitués, plus conservateurs.
Aïda avait été présenté pour la première fois par le compositeur italien Giuseppe Verdi en 1871, à une époque où l’Europe était fascinée par l’Egypte après des fouilles archéologiques majeures. Le scénographe Gianni Quaranta, récompensé aux Oscars, a tenu à restituer « un aspect monumental » mais aussi une certaine « forme de décadence ». « La civilisation antique disparaissait, comme si elle avait été ensevelie par le sable du désert pour n’être redécouverte que des siècles plus tard », a-t-il expliqué au soir de la dernère. La palette du spectacle comprend de nombreuses nuances de doré, évoquant ce monde grandiose, mais révolu.
« Applaudissements à tout rompre »
« La soirée d’ouverture d’Aïda fut exceptionnelle », s’est remémoré Gianni Quaranta, évoquant notamment cette scène au cours du deuxième acte, quand la chambre de la princesse égyptienne Amneris fut remplacée par un décor de soldats en rang, dos au public, annonçant le début de la marche triomphale. « Les spectateurs applaudissaient à tout rompre », parfois si fort qu’ils couvraient certains chants. Le scénographe a fait part de sa « déception » de voir la production actuelle abandonnée, mais s’est aussi dit reconnaissant pour la longévité de cette interprétation classique de Verdi. « Je comprends que le théâtre ait besoin d’une autre production, avec une mise en scène et une interprétation scénique différente », confesse Gianni Quaranta.
Avant de confier son souhait que les nombreux décors, meubles, accessoires et costumes, soient préservés. « Il serait super de pouvoir proposer à nouveau cette production à une prochaine génération, dans 20 ou 30 ans par exemple », a-t-il estimé.
Un opéra, « pas un musée »
Nombreuses sont les coutumes théâtrales à avoir changé au cours des 35 ans d’existence de cette version d’Aïda. Durant des années, les chanteuses blanches qui jouaient le rôle de la princesse éthiopienne Aïda avaient par exemple pour habitude de se grimer en noir – une pratique à laquelle le Met a mis complètement fin au cours des dix dernières années.
De grands classiques du monde de l’opéra, dont Aïda, ont également été critiqués, accusés de véhiculer de nombreux clichés et stéréotypes orientalistes. Cela peut rendre l’interprétation des oeuvres du XIXème siècle difficile, fait savoir Peter Gelb, directeur du Metropolitan Opera depuis 2006, estimant que certaines des oeuvres de l’époque « peuvent véhiculer des valeurs qui ne sont pas acceptables aujourd’hui ». L’objectif est de s’assurer que le Met reste « un opéra vivant, dynamique… et non pas un musée », a-t-il affirmé.
John Biers © Agence France-Presse
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