Lorsque j’ai vu la mer, la pièce du chorégraphe et dramaturge Ali Chahrour, a été créée à Beyrouth en mai. Elle sera présentée en France, à Marseille, début juin, au festival Les Rencontres à l’échelle, avant le Festival d’Avignon. Rencontre avec le chorégraphe à Beyrouth, ainsi qu’avec la metteuse en scène et comédienne Fatima Bazzi et Omar Abi Azar, le fondateur de la troupe Zoukak.
Sur une scène d’un théâtre de Beyrouth, des Éthiopiennes racontent, en paroles, en danses et en chansons, l’histoire tragique de travailleuses migrantes abandonnées à leur sort pendant la dernière guerre au Liban. « Ce projet est né pendant la guerre, raconte Ali Chahrour. Je ne voulais pas arrêter de faire du théâtre […] Danser, c’est mon seul outil de résistance ».
Sur scène, deux Éthiopiennes et une Libano-Éthiopienne racontent l’exil et les mauvais traitements, et rendent hommage aux femmes migrantes déplacées ou disparues durant la guerre. Pendant le conflit ouvert entre Israël et le Hezbollah pro-iranien à l’automne 2024, des centaines de travailleuses migrantes ont été abandonnées par leurs employeurs ayant fui les bombardements israéliens. Certaines ont été recueillies dans des abris mis en place par des associations locales, et d’autres, sans refuge, ont dormi dans la rue pour échapper à la mort. Le Liban est souvent critiqué pour ses violations des droits des travailleurs étrangers. « Ma rencontre avec ces femmes m’a donné la force et l’énergie de continuer, confie le chorégraphe. Elle permet de faire entendre des voix, de garder vivantes les histoires de ceux qui sont partis sans jamais obtenir la justice qu’ils méritaient ».
« Un remède »
La guerre s’est également invitée dans Trop serrée, la pièce de la metteuse en scène et comédienne Fatima Bazzi. À l’origine, il s’agissait de la simple histoire d’une femme aux prises avec son mari machiste. Mais la réalisatrice, qui habite la banlieue sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah dévasté par la guerre, a dû fuir le pays pour l’Irak en raison des bombardements et interrompre la préparation de son spectacle. « On a essayé de communiquer par appels vidéo » avec la troupe, et « on a intégré cela dans la pièce : cette idée de séparation, de distance, et comment nous avons réussi malgré tout à continuer ».
La réalité de la guerre s’impose au jeu théâtral jusqu’à en devenir la matière même. Les comédiens, dont les répétitions étaient régulièrement interrompues par les bombardements, jouent ces scènes durant desquelles ils se ruent sur leurs téléphones pour s’enquérir de leurs proches. Pour Fatima Bazzi, cette pièce était une « échappatoire, un remède », face à la pression constante de la guerre.
« Enfants de la guerre »
Les scènes libanaises accueillent aujourd’hui de nombreuses créations, dont certaines avaient été mises sur pause à cause de la guerre. La guerre est venue s’ajouter aux difficultés existantes, entre l’absence de soutien public à la production théâtrale et une crise économique persistante depuis 2019. « On a dû reporter tout un festival prévu à la fin de l’année dernière à cause de la guerre. Plus de 40 pièces […] devaient être présentées… On reprend progressivement », explique Omar Abi Azar, 41 ans, fondateur de la troupe Zoukak, dont le théâtre a accueilli la pièce de Fatima Bazzi.
Omar Abi Azar a signé une création avec sa troupe, intitulée Stop Calling Beirut, programmée à l’origine à la fin 2024, mais finalement reportée au mois de mai dernier. La pièce le replonge notamment dans ses souvenirs d’enfance durant la guerre civile libanaise (1975–1990). La troupe Zoukak est elle-même née d’un pari audacieux, en 2006, lors de la guerre précédente entre le Hezbollah et Israël, alors que ses membres venaient tout juste d’être diplômés. Selon lui, cet « ancrage avec la réalité » est devenu l’une des marques de fabrique de la troupe. « On est les enfants de la guerre, affirme-t-il. On est nés, on a grandi et on a vécu au cœur de ces crises […] c’est notre réalité. Et si cette réalité avait voulu nous engloutir, elle l’aurait fait depuis longtemps. »
Laure Al Khoury © Agence France-Presse
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