Vidéos, applications numériques, outils de réalité virtuelle et augmentée… Au festival Ring à Nancy (12-20 avril 2018), les nouvelles technologies rencontrent le théâtre pour mieux penser le monde. Ses dérives et ses utopies.
Avec Stage your city, promenade dystopique à travers Nancy créée avec le Badisches Staatstheater de Karlsruhe en Allemagne et le Théâtre d’État Kote Marjanishvili de Tbilisi en Géorgie, La Manufacture – CDN de Nancy donne le ton de la 6ème édition de Ring. Sa dimension très technologique, alliée à une exigence de sens autant que de forme. À travers une quinzaine de spectacles, dont six sont des créations, des concerts, des installations et des performances, le festival donne en effet à découvrir différents artistes qui mettent le numérique au service d’une démarche artistique singulière. Souvent accompagnée d’une réflexion critique sur les outils employés. Sur leur influence en matière d’intime et de politique.
Comme Michel Didym, directeur de La Manufacture, et ses partenaires européens, plusieurs compagnies explorent la dystopie. Un genre littéraire qui, par son potentiel d’interrogation des codes théâtraux et des dérives de nos sociétés capitalistes, commence à s’imposer sur les scènes actuelles. Dans la veine de l’excellent France-fantôme (2017) de Tiphaine Raffier, un soupçon de futurisme en plus, Syndrome U de Julien Guyomard en est un bel exemple. Dirigé par La Masse, « agent informatique de l’opinion majoritaire », le monde imaginé par l’auteur et metteur en scène, membre du collectif de la Comédie de Valence, est en effet placé dans un décor hybride. À mi-chemin entre l’intérieur très réaliste choisi par Tiphaine Raffier et le dispositif numérique de Stage your city. À Ring, l’équilibre entre jeu et numérique varie. De même que les technologies employées.
Présentation du système social et de ses injustices, apparition d’éléments contestataires, résolution du conflit… Construites selon la même structure que les classiques du genre – Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, ou 1984 de George Orwell –, les deux dystopies présentées en début de festival innovent davantage dans la forme que dans le récit au sens strict. Comme lorsque le théâtre s’approche de la performance, la cohabitation entre un type de jeu plus ou moins classique et différentes sortes d’images accentue l’« effet réel » du spectacle au lieu de le mettre à distance. C’est là toute la réussite de Michel Didym et de Julien Guyomard. En détournant les technologies qu’ils utilisent de leurs usages habituels, chacun met à sa manière en avant la spécificité du geste théâtral. Sa valeur humaine.
La présence au programme du parcours performatif en quatre épisodes Øracles, de et par Otomo De Manuel, de la performance Polis de la compagnie Akté et du parcours marionnettique et musical Les Folles de la compagnie La Mue/tte confirment cette ligne artistique. Peu portées vers les nouvelles technologies, ces propositions rejoignent en effet les autres à l’endroit du rapport à l’acte théâtral et de la réflexion politique. De l’interrogation sur nos manières d’habiter le monde, centrale également dans l’étonnant Worldwidewestern de Raphaël Gouisset. Un solo dont le héros est un garçon d’aujourd’hui aux rituels étranges.
Dans ce premier projet personnel, le comédien campe en effet un garçon qui se rêve cowboy dans sa chambre, face à son ordinateur connecté à internet. Rodéo, braquage de banque, sortie au saloon, rencontre avec les Indiens… Grâce à Youtube, Facebook et autres interfaces, Raphaël Gouisset revisite toutes les scènes incontournables des westerns avec humour et sans paroles. Ce qui place également Worldwidewestern, et de manière beaucoup plus radicale que Stage your city et Syndrome U, du côté de la performance. Du jeu avec les codes du théâtre. Le festival Ring se poursuit jusqu’au 20 avril, avec entre autres Les Falaises de V. de Laurent Bazin, Witzelsucht de Liwia Bargiel et Connected de Maroussia Pourpoint. On reste connecté à La Manufacture.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Festival Ring
Du 12 au 20 avril 2018
À La Manufacture – CDN de Nancy, et dans divers lieux du Grand Nancy
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