Alors que la Comédie-Française est en tournée pour quatre mois avec « Le Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux dans la mise en scène de Galin Stoev, Nicole Bernard-Duquernet vient de faire paraître aux éditions de L’Harmattan « La Comédie-Française en tournée ou Le Théâtre des cinq continents 1868 – 2011 ». Un livre passionnant qui se lit comme un roman et qui retrace les épopées du Français en France et à l’étranger. Et « hasard » de l’histoire la pièce de Marivaux a été la plus jouée par la troupe depuis 1879 en tournée : 328 fois.
Muriel Mayette, l’actuelle administratrice explique dans sa préface que « Le théâtre a une quatrième salle : ce sont les lieux où la troupe joue à l’extérieur de Paris » rappelant qu’elle a « renoué avec les longs voyages dans les pays où le théâtre compte (…) Tous ces voyages ont des retombées y compris pour notre répertoire. Nous rencontrons des auteurs, des metteurs en scène et nous nous ouvrons à d’autres traditions, d’autres pratiques ».
Le livre regorge d’anecdotes passionnantes et truculentes comme celle de Talma négociant secrètement son engagement avec le théâtre de Caen en1826 et étant d’une exigence inouïe : « J’ai besoin d’un salon et au moins de trois chambres à coucher et assez de commodes pour y mettre un immense bagage ».
Ce livre est une invitation au voyage. On imagine les caisses de décors et de costumes s’entasser dans les trains, puis dans les avions. Les premiers déplacements du Français débutent en 1868, on les appelle alors « excursions » (Dijon, Lyon, Toulon et Marseille seront les premières villes visitées). Puis en 1879 débutent réellement les tournées. Londres sera la première ville à recevoir la troupe hors de France. Et l’on découvre une Sarah Bernhardt qui n’en fait qu’à sa tête. Alors qu’il est stipulé qu’aucun comédien du Français ne peut paraître sur aucune scène et faire de la concurrence à la Comédie-Française, elle propose des « récitations » publiques dans « des demeures particulières ». Les comédiens vont interpréter quatre-vingt trois pièces pendant leur séjour à Londres. Entre les pertes de mémoire des uns, les controverses de la presse sur l’interprétation de Sarah Bernhardt, les déprogrammations, la description de cette première tournée par Nicole Bernard-Duquernet est rocambolesque.
En 1935 les tournées deviennent un instrument de diplomatie et au début de l’occupation en 1939 la Comédie se rend en Amérique du Sud, puis dans les Balkans et au Proche-Orient en 1940 avec Marie Bell et Edouard Bourdet, malgré la tentative des allemands de « saboter ce déplacement en achetant des billets pour que les artistes jouent devant des salles vides ». Après la guerre les comédiens deviennent les ambassadeurs de la culture française sous le mandat de Maurice Escande. Puis on assiste à un rééquilibrage dès les années 70 (sous l’impulsion de Pierre Dux) jusque dans les années 2000 au profit des tournées en France, signe aussi de la diminution de l’influence artistique de la France et des couts de production en augmentation (la tournée en 1988 au Japon et en Corée est cofinancée par l’AFAA et des entreprises privées).
Dans ce livre qui est un véritable parcours de l’histoire de l’institution théâtrale française, on appréciera aussi quelques photos insolites comme celle Gisèle Casadesus et Jeanne Moreau à Stockholm en 1951 ou celle de Myriam de Colombi (l’actuelle directrice du théâtre Montparnasse) serrant la main du Shah d’Iran en 1968.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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