La tribune publiée par Wajdi Mouawad suite aux déclarations de Roselyne Bachelot sur la présence dans son équipe artistique de Bertrand Cantat, condamné pour avoir assassiné la comédienne Marie Trintignant, et Jean-Pierre Baro, visé par une plainte pour viol classée sans suite, dans la programmation du Théâtre National de la Colline endosse une rhétorique qui n’est pas anodine et à laquelle il convient de répondre de manière argumentée. Ce que propose le comédien Arthur Daniel, dans sa tribune.
Cette rhétorique s’inscrit dans un contexte médiatico-politique qui a pour but de faire passer certaines luttes d’aujourd’hui (antiracistes, féministes, LGBTQI+ notamment) pour ce qu’elles ne sont pas. Le spectre idéologique de cette opposition pétrie d’inquiétudes réunit beaucoup de gens et créent des coalitions pour le moins surprenantes : de la majorité présidentielle à une partie de la gauche jusqu’à l’extrême-droite, la lutte contre le désormais « wokisme » et les luttes intersectionnelles est devenue la nouvelle marotte de tout un champ idéologique et intellectuel. Sur ces sujets, le discours rétorqué aux personnes qui se soulèvent est souvent le même. C’était il y a quelques mois l’accusation « d’islamo-gauchisme », c’est aujourd’hui « l’idéologie woke » qui en irrite plus d’un. Et, qu’on le veuille ou non, faisant appel aux mêmes outils lexicaux, c’est avec ce spectre idéologique très large que fraternise aujourd’hui Wajdi Mouawad.
Cette réponse est malheureusement un festival de caricatures, de lieux communs et d’anathèmes.
Tout d’abord, faire passer les militant.e.s, témoins et/ou victimes qui ont témoigné à travers #MeTooThéâtre pour des juges, c’est adopter un renversement rhétorique caricatural déjà utilisé lors de #MeToo en 2017. On entendait : « justice rendue sur les réseaux sociaux », « tribunal populaire », « horde assoiffée de vengeance », mise au ban de la présomption d’innocence… Aujourd’hui, avec Wajdi Mouawad : « sacrifice de l’État de droit », « dictature qui ne dit pas son nom », « la foule qui lynche », etc… Les mêmes éléments remâchés, en plus pompeux.
Au-delà de ces raccourcis , il s’agit de dire et redire l’essentiel : accorder un pouvoir judiciaire relevant d’une autorité étatique et verticale à des militant.e.s et/ou victimes qui appellent à une prise de conscience, à des mesures fortes et un changement de paradigme global, c’est leur donner un pouvoir qu’évidemment ils et elles n’ont pas. Qui a parlé de censurer telle ou telle œuvre du côté de #MeTooThéâtre ? Qui a dit qu’il fallait se substituer à la justice ? Qui a parlé de piétiner l’État de droit ? Tordre ainsi le discours de ses adversaires relève d’une entreprise de disqualification massive. C’est aussi dire en creux : vous ne faites pas partie du champ démocratique, je ne vous écouterai donc pas.
Ensuite – et c’est plus grave –, amalgamer ces personnes qui s’insurgent avec des intégristes catholiques, c’est un raccourci grossier qui consiste à faire accroire l’analogie suivante : des fondamentalistes religieux qui sévissent entre autres à travers la censure de la nudité et du blasphème utiliseraient donc les mêmes procédés que des militant.e.s qui demandent qu’advienne une réelle prise de conscience collective sur la prégnance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu du théâtre. Là encore, plate entreprise de disqualification. Amalgamer ainsi, c’est accréditer l’idée aberrante que lutter contre les violences sexuelles dans le milieu du théâtre, c’est faire preuve de conservatisme et de rigorisme moral alors qu’on parle bien d’un changement anthropologique majeur Le contraire même du conservatisme.
Plus déroutant encore : assimiler à une « forme d’inquisition » des interrogations légitimes sur la présence de tel ou tel artiste au sein d’une institution, c’est, en plus de faire un parallèle historique bancal, tuer dans l’œuf le débat démocratique mais c’est surtout faire preuve d’une réaction d’une virulence incompréhensible – à moins de la mettre sur le compte de la colère et de la susceptibilité, comme cela arrive souvent dans ce genre de controverses. C’est si dommage de manquer une occasion d’écoute, de dialogue.
Justement, le dialogue. Il est dit qu’il n’est plus possible de nos jours, que nous vivons dans le temps de l’absence de nuance. M. Mouawad, que n’avez-vous organisé un débat avec les militant.e.s MeTooThéâtre dans ce lieu que vous dirigez où peuvent poumonner les beaux principes de la démocratie tels que le débat contradictoire et l’échange d’idées ? Vous décrétez, avant même que quoi ce soit ait eu lieu, que le dialogue n’est pas possible. Vous le fermez donc de votre propre chef. Que l’on soit en désaccord, c’est une chose stimulante en soi. Que l’on fasse de ce désaccord une liste d’invectives et de raccourcis pour fermer la porte à tout échange, c’est cela qui, encore une fois, est dommage.
Pour quelqu’un dont le métier est d’être au cœur de la langue, que ce soit en tant que metteur en scène ou écrivain, une telle bévue faite d’imprécisions et de ressentiment ne peut susciter qu’une profonde stupéfaction. On a rarement vu réponse aussi virulente adressée à des militants et militantes dont l’objectif premier, principal, urgent – rappelons-le ! – est que cessent les violences sexistes et sexuelles, en l’occurrence dans le milieu du théâtre. Pensons aux témoignages des vingt femmes témoins ou victimes des agressions et viols dont le metteur en scène Michel Didym est accusé. Cet article de Libération de la journaliste Cassandre Leray a permis de faire émaner le #MeTooThéâtre, prise de parole essentielle pour des comédien.nes, technicien.nes, administratrices etc… victimes de la violence masculine sous toutes ses formes.
C’est dans ce cadre qu’y ont été abondamment décrits les « préjugés sexistes, cette culture du viol sous-jacente, cette zone grise insidieuse et cette absence de réflexion autour du consentement » comme le dit le Collectif. Des rapports de séduction où est torpillé tout professionnalisme, du harcèlement, du chantage au rôle, l’omerta qui protège les agresseurs, tout un lot d’atteinte et d’agression sexuelle qui vont parfois jusqu’au viol et qui constitue la violence systémique amplement dépeinte par celles et ceux que vous répudiez. C’est de cela dont on parle. Pas d’autre chose.
M.Mouawad, vous êtes dans une position de pouvoir, non ces personnes qui s’insurgent. Vous avez le pouvoir de changer les choses, un peu. A l’échelle de ce petit milieu du théâtre. N’ayez pas peur, ne caricaturez pas. Les choses changeraient un peu, énormément qui sait, si vous écoutiez et regardiez du côté des aspérités, des récits et des propositions précises faites par #MeTooThéâtre et non des discours gonflés d’amertume. Frantz Fanon ne disait-il pas dans Peaux noirs, masques blancs : « Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge !» ? Interroger, n’y a-t-il rien de plus éminemment théâtral ? Écouter et regarder, n’est-ce pas un des gestes fondamentaux de l’artiste ?
Arthur Daniel
Je suis profondément touchée par le décès de Malika Pascal-Ouadah, cette femme brillante et grande professionnelle qui a eu le grand tort de tomber malade et de perdre son travail qu’elle adorait…et j’espère que mr Mouawad l’est tout autant… j’etais aussi très attachée au Théâtre de la Coline et au T.E.P… tout comme Malika… Joëlle Cousinaud