L’Opéra-Comique fait la part belle à sa Maîtrise Populaire en lui offrant une partition et un livret sur mesure. Archipel(s) déploie son univers proche de la science-fiction, l’histoire d’un enfant qui refuse de marcher au pas et part en quête de lui-même. Fruit de belles collaborations, ce spectacle somptueux braque ses projecteurs sur une jeunesse pleine de talents et d’allant.
Pionnière de l’écriture pour voix d’enfants en langue française dans les années 70, la compositrice Isabelle Aboulker, 86 ans au compteur, signe la superbe partition de ce spectacle où brille la jeunesse, en l’occurrence la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique. Et cette rencontre intergénérationnelle prouve qu’il n’y a pas d’âge pour être en phase avec son époque, se connecter à son pouls ardent, à ce qui l’anime et l’embrase. Contemporaine en diable, tantôt sombre et grave, tantôt légère et enjouée, presque circassienne parfois, la composition musicale, portée avec panache par l’Orchestre des Frivolités Parisiennes dirigé par Mathieu Romano, exprime à merveille les différentes phases du récit, les états mouvants du jeune héros en quête d’indépendance, sa mélancolie et son envie d’une vie à la hauteur de ses rêves. Le livret d’Adrien Borne a été écrit à partir d’échanges avec les enfants et adolescents de la Maîtrise, il reflète leurs préoccupations et leur imaginaire tout en portant la patte de son auteur : une écriture poétique qui joue sur les mots et les sonorités.
Métaphorique et fantastique, l’intrigue nous conduit d’une île à une autre au gré du cheminement d’un enfant différent parce qu’il a des sentiments et que, contrairement aux autres, il doute et se questionne. C’est un récit initiatique, un brin dystopique qui rappelle lointainement Peter Pan et l’île des enfants perdus. Cet enfant rebelle, rêveur et amoureux, est envoyé en exil sur l’île des Damnés où chacun change de personnalité au gré de la poupée totem qui lui est attribuée. Et l’on passe d’une colonie (pénitentiaire ?) de robots sans âme, chérubins dociles tout vêtus de blanc, à son envers, un ailleurs où vivent les marginaux et les inutiles, les indociles au ban de la société, où l’on change d’identité comme de chemise, où des hordes d’enfants hagards jettent au puits leurs souvenirs, où leurs visages sont aussi pâles que leurs tenues sont noires. Seules ces poupées de chiffon, pantins sans vie tricotés à la main, qui rappellent l’œuvre de la plasticienne Annette Messager, colorent ce décor de suie, industriel et inhospitalier. Mais le long de son voyage, notre dissident fait des rencontres qui l’éclairent et lui permettent de comprendre ce qu’il cherche.
Archipel(s) avance d’une île à l’autre dans une alternance de tableaux magnifiques, de dialogues parlés et de chant, de voix solistes et de chœur. C’est une marée d’enfants qui s’empare du plateau dans des chorégraphies collectives aussi ondoyantes que leurs voix. Professionnels et investis, à l’aise dans toutes les disciplines, le jeu, la danse et bien sûr, le chant, ces jeunes déploient avec générosité leurs talents et ce spectacle est un écrin valorisant la qualité de cette formation unique en son genre. Car l’interprétation est gracieuse, du rôle principal aux personnages secondaires, toutes et tous révèlent des personnalités scéniques prometteuses. Mention spéciale au trio corsé en costard, Rachel Masclet, Malvina Missio et Airelle Groleau, qui campent une trinité ensorcelante en noir et blanc. Quant au personnage attachant de Mavrick, original à la marge de la marge, il est interprété avec éclat par Colin Renoir-Buisson et les duos de complicité entre l’enfant sans nom (délicat Victor Ozanne-Cojbuc à la voix d’ange) et le chenapan (voleur de souvenirs et mémoire des histoires de ses compatriotes) sont un régal.
L’ensemble balance visuellement et symboliquement entre le noir et le blanc et s’inscrit à merveille dans la scénographie et les costumes de Thibault Vancraenenbroeck, habiles et élégants, ni pesants ni invisibles mais expressifs et atmosphériques. Archipel(s) est un conte musical des temps modernes, une fable existentielle fantastique embrassée par une nuée d’enfants et adolescents qui font corps et chœur pour nous renvoyer la force du groupe. Entre émulation collective et solitude errante, Archipel(s) déploie ses champs narratifs entre deux pôles et invite à nous reconnecter à notre véritable identité, à prendre la tangente s’il le faut, à suivre son instinct et ses propres besoins. Grandir est une belle chose, pourvue que ce verbe ressemble à un épanouissement. Et un envol.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Archipel(s)
Compositrice Isabelle Aboulker
Livret Adrien Borne
Direction musicale Mathieu Romano
Directrice artistique de la Maîtrise Populaire Sarah Koné
Mise en scène James Bonas
Interprètes Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique
Orchestre Les Frivolités Parisiennes
Spectacle en français surtitré en français et en anglaisDurée : 1h15
Du 25 avril au 5 mai 2024 à l’Opéra-Comique
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