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« Autokèn », retourner la violence

Avignon, Best Off, Coup de coeur, Les critiques, Théâtre
Autokèn d'Anne Corté
Autokèn d'Anne Corté

Photo Sébastien Manigaud

Texte lauréat de l’aide à la création d’ARTCENA en 2019 et créé en 2021 au festival actoral, Autokèn d’Anne Corté donne lieu à un spectacle puissant. Par son propos, son interprétation à l’os et sa mise en scène aussi stylisée qu’efficace.

À la découverte d’Autokèn conçu et interprété par Anne Corté, artiste formée aux Beaux-Arts de Marseille et à la FAI-AR, des termes tels que « déflagration », « foudroyant » ou « percutant » (qui parsèment si souvent les critiques) viennent à l’esprit. C’est peu de dire à quel point le recours à ce champ lexical résonne avec le propos du spectacle. Et la violence – violence d’État par la violence policière, violence de la balle qui va tuer, violence des technologies et violence des rapports de classe – est au cœur du texte, comme de la mise en scène. Mais il résonne également par une écriture qui nous interroge toutes et tous sur notre rapport à ces différentes violences. Sur les façons dont on les redoute, les observe, les accepte et comment on pourrait (en partie) les retourner.

Autokèn, c’est un drôle de néologisme, dont le sens se révèle rapidement. Seule en scène, vêtue d’un short et d’un sweat sans manches à capuche, la comédienne, autrice et metteuse en scène Anne Corté raconte une « erreur » (euphémisme) policière. Ou comment, à la suite d’un mauvais signalement, une policière tire sur le conducteur d’un camion et, ratant son but, touche un passant. Le spectacle déplie cet accident ainsi que l’attente des secours par tous les personnages. Dans un récit choral mêlant discours direct et indirect, qui va aboutir à la mort de l’ami de la narratrice – d’où le « kèn », verlan de « niquer » –, les dialogues des protagonistes se déploient avec un large recours à l’auto-tune. Ce logiciel, qui ajuste ou corrige la voix, permet également de produire toute une palette de modulations vocales. Autokèn est ainsi une proposition qui travaille sur la modulation des voix tout en tordant l’idée d’autofiction : donné comme réel et d’une véracité folle dans son écriture comme dans ses images (le sang coulera bien), le récit fictif est porté par une seule interprète qui va incarner toutes les voix.

Saisissant par son écriture ramassée, très imagée, intense et dense, le spectacle nous plonge dans ce qui pourrait être aisément qualifié par des médias mainstream de « fait divers ». Mais le mode de narration de cette histoire, ainsi que la langue nerveuse jouant des genres et des registres, replacent dans un contexte politique ce meurtre. Aux côtés du récit au discours indirect conté par le personnage de la narratrice, différentes voix au discours direct s’entrecroisent et construisent un rapport au suspense, à la fiction, à l’humour. L’on entend autant les deux policier·es, l’ami blessé, le conducteur du camion, les pompiers, le médecin que… la balle mortelle. Un témoignage inaugural aussi glaçant que féroce, qui rend concret le contexte et l’injustice de cette balle perdue, par une description macro de l’environnement. Ce choix renvoie également à la façon dont sont traitées ces affaires – en déresponsabilisant souvent le policier qui a tiré.

Autokèn, par son entremêlement de voix auto-tunées ou non, de regards, d’émotions, relate ainsi, de façon directe et avec une scansion particulière, une tragédie qui s’inscrit dans un contexte plus général de violences. Pour le porter, Anne Corté a recours à un séquenceur fixé sur son corps et convoque une multiplicité de sons du monde environnant – moteurs de voitures, sirènes d’ambulance, aboiements, chants d’oiseaux, etc. Ce dispositif pertinent ajoute à la fluidité du jeu et au sentiment de vivre au présent le drame, comme de découvrir son paysage. Les dialogues des personnages dans l’attente de l’ambulance prolongent l’ouverture vers d’autres enjeux, et leurs discussions sont autant d’entrées par effraction dans le réel, le nôtre. Car, pour maintenir conscient le blessé, la narratrice et le conducteur du camion échangent et mènent des recherches sur Internet, les vidéos trouvées étant projetées sur l’écran en fond de scène. Il y a un grinçant écart entre la trivialité des propos, l’enjeu vital qui les sous-tend et l’horreur qu’ils abordent. D’une recherche à l’autre, l’on touche du doigt le cynisme des fabricants d’armes, le raffinement brutal qui caractérise le secteur de l’armement – de la conception des balles à fragmentation (qui se divisent lors de l’impact) aux balles téléguidées – et l’utilisation de ces dernières par des États, et les positions idéologiques terrifiantes du directeur de l’ingénierie de Google, Raymond Kurzweil – à l’homophonie cocasse avec le compositeur Kurt Weill, célèbre collaborateur de Bertolt Brecht –, qui bénéficie de secours avant l’ami blessé.

Qu’il s’agisse de l’écriture, de l’interprétation à l’os, franche, sans fard, ou de la création lumières (aux tonalités cliniques) au cordeau, Autokèn fait plus que relater une violence policière. Le spectacle dessine dans un geste radical et précis notre monde tel qu’il va, et fait au passage un signe rapide vers le génocide en cours à Gaza. Un monde où la police tue, où l’on développe des munitions effrayantes, où les rapports de classe tuent également – les plus riches étant prioritaires dans l’accès aux soins. Face à ce quotidien recourant aux technologies et se déployant par elles – pas forcément pour le meilleur –, la narratrice propose un autre itinéraire. Et si, face au sentiment d’impuissance généralisé, le salut était dans l’usage des technologies numériques au service d’un militantisme radical ? L’on sort ainsi avec l’envie d’être l’un·e des trois mille.

caroline châtelet – www.sceneweb.fr

Autokèn
Conception, écriture et jeu Anne Corté
Dramaturgie sonore Laurie Bellanca
Sonorisation / Réalisation sonore Maxime Jerry Fraisse
Création lumière Charlotte Ducousso
Conseils sur le jeu Vincent Thomasset
Œil chorégraphique sur la balle Julie Lefebvre

Production actoral, bureau d’accompagnement d’artistes
Partenaires Production Actoral Marseille, SACD – L’objet des mots, Artcena – Aide à la création de texte dramatique, Warm Up – Le printemps des comédien
Accueils Centre for the Less good Idea – Johannesburg, Associacio Cultural Mutte – Girona, Le DOC! – Paris, La Pop – Paris, Stéréolux – Nantes, Montévidéo – Marseille, La Station – Gare des Mines – Paris, CND – Pantin – via la Station Gare des mines, Le Carreau du Temple – Paris

Durée : 40 min

La Scierie, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
du 4 au 26 juillet 2025, les jours pairs, à 22h

22 juillet 2025/par Caroline Chatelet
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