Pour le week-end de clôture au festival FAB, à Bordeaux, deux pièces palestiniennes ont provoqué l’émoi, pour leur singularité artistique, leur valeur de témoignage et leur écho avec l’actualité. Les spectacles seront ensuite en tournée en France et notamment au festival Sens Interdits à Lyon
Actualité oblige, les artistes palestiniens programmés au FAB Festival des Arts de Bordeaux étaient particulièrement attendus ce week-end. Par le public bordelais. Par la direction du festival. Et par la presse, tant culturelle que politique. Après les massacres perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre, pendant les bombardements et le siège sanguinaire de la bande de Gaza organisés par l’armée israélienne dès le lendemain – et toujours en cours -, Ahmed Tobasi, Samaa Wakim et Samar Haddad King se rendaient en France, précipités par les événements, épuisés par un voyage aux allures de périple, et déjà précédés par les polémiques. La première d’entre-elles étant le report – et vraisemblablement l’annulation selon les artistes – de And Here I am d’Ahmed Tobasi à Choisy-le-Roi (une pièce qui tourne à l’étranger depuis 2017) « en signe d’apaisement et de respect pour toutes les victimes », « et par souci de la sécurité des spectateurs », dixit la mairie de cette commune située dans le Val-de-Marne.
Une décision absurde, au regard des arguments de ces pièces et de leurs qualités respectives. Le temps de leur représentation, justement, l’effroyable actualité semblait mise à distance ; les mots et les émotions devenaient – un peu – dicibles ; l’expérience collective du spectacle vivant venait soulager l’imagination torturée par ces images atroces vues ici et là sur Internet cette dernière semaine. Parce qu’Ahmed Tobasi, Samaa Wakim et Samar Haddad King n’appellent pas aux meurtres d’Israéliens. Parce qu’Ahmed Tobasi, Samaa Wakim et Samar Haddad King se contentent, à l’instar de tous les artistes de théâtre, de mettre en scène leurs douleurs, leurs aspirations et leur vécu ; en l’occurrence leur passage à la vie adulte sur un territoire ravagé par la guerre. Évidemment que celle-ci est au cœur de leur propos. Mais, rappelons-le, le théâtre, le bon théâtre, ne se confond pas avec la propagande.
Avec Loosing it, Samaa Wakim et Samar Haddad King optent pour un style impressionniste. Ces deux femmes qui travaillent à Haïfa ont choisi le bruit et la danse pour exprimer le chaos qui règne autour d’elles ; un démarche originale, dans un dispositif immersif. Au plateau, un simple élastique vert, tendu en diagonale, comme la frontière infranchissable représentée par les cartes d’état-major israéliennes. Occasionnellement funambule, tantôt danseuse, parfois pantin désarticulé, Samaa Wakim s’y confronte, avec son corps qui s’effondre, se relève, et tente de trouver l’équilibre. En bord de scène, Samar Haddad King manipule des percussions, des lignes de basse et des sons prélevés au hasard du quotidien et des checkpoints. On entend des bombes, des cris et des hélicoptères qui se transforment en feux d’artifice comme un inquiétant délire auditif. On entend les mots de la grand-mère de Samaa Wakim, comme un havre de paix dans un monde fait de bruit et de fureur. Loosing it est un spectacle réussi par sa façon de métaphoriser le réel.
And Here I Am, écrit par l’Irakien Hassan Abdulrazzak et mis en scène par l’Anglaise Zoe Lafferty, est en quelque sorte l’inverse de Loosing It. Une pièce narrative, débitée à 100 à l’heure, à l’esthétique burlesque, et portée par le charisme d’Ahmed Tobasi. Lequel raconte sa vie. Laquelle est digne d’un film hollywoodien. Une enfance dans le camp de réfugiés de Jénine et une adolescence dans la rébellion palestinienne – ce qui fait de lui un terroriste. Une incarcération de quatre ans en Israël et la rencontre du spectacle vivant, dans le Freedom Theatre de Jénine, où il découvre sa vocation. Un exil et une formation de comédien en Norvège, où il fait l’expérience des plaisirs de la vie. Et un retour inattendu à Jénine, où il choisit de consacrer sa vie dans ce petit théâtre de fortune qui l’a vu renaître. Avec And Here I Am, l’artiste tente de montrer que « l’intelligence du théâtre peut être aussi puissante que les balles d’un fusil d’assaut ». Son vécu le prouve. L’artiste devrait jouer dans toutes les salles de spectacle du monde.
Igor Hansen-Løve – Sceneweb.fr
And here I am, Mise en scène Zoe Lafferty
Texte Hassan Abdulrazzak
Avec Ahmed Tobasi, d’après le récit de sa vie
Décor et costumes Sarah Beaton
Régie son Max Pappenheim
Création lumière Andy Purve & Jess Bernberg
Directeur mouvement Lanre Malaolu
Régisseur Robyn Cross
Traduction Eyas Younis
Coach vocal Amiee Leonard
Technicien Adnan Naghnaghiye
Production Oliver King for Developing
Artists Coproduction The Freedom Theatre Production déléguée Sens Interdits
Avec le soutien de Fritt Ord, AM Qatar Foundation, AFAC, The Arab British Center, Unity Theatre Trust, Arts Council England, British Council, The Lipman – Mililiband Trust, ONDA – Office National de Diffusion Artistique
Coréalisation Festival Sens Interdits et Théâtre Nouvelle GénérationDurée 1h15
Les 13 et 14 octobre 2023
Festival des Arts de BordeauxLes 18 et jeudi 19 octobre 2023
Théâtre Nouvelle Génération dans le cadre de Sens Interdits
Ateliers Presqu’îleLes 21 et 22 novembre 2023
Théâtre Joliette, Marseille (13)Le 24 novembre 2023
Théâtre l’Alibi, Bastia (2B)Le 28 novembre 2023
Le Safran, Amiens (80)Losing it, par Samaa Wakim et Samar Haddad King
Chorégraphie et performance Samaa Wakim
Musique et instrument Samar Haddad King
Lumières Cord Haldun
Musique Turathy (Album : Autostrad) / prière par Mounira WakimLes 13 et 14 octobre 2023
Festival des Arts de BordeauxLe 17 octobre 2023
L’Agora, BoulazacDu 18 au 20 octobre 2023
Workshop, École Supérieure de Théâtre de l’Union, LimogesDu 24 au 26 octobre 2023
Festival Sens Interdits, les SUBS, LyonLe 23 novembre 2023
Théâtre Joliette, MarseilleLe 26 novembre 2023
Théâtre l’Alibi, BastiaLe 30 novembre 2023
Le Safran, Amiens (80)
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