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« Amours Chimiques », dans l’engrenage du chemsex

A voir, Les critiques, Paris, Théâtre
Amours Chimiques de Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn au Lavoir Moderne Parisien
Amours Chimiques de Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn au Lavoir Moderne Parisien

Photo Claudia Bleandonu-Berberian

Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn plongent, avec une finesse engagée, dans la vie des chemsexers et accouchent d’un spectacle où la théâtralité assumée se mêle à un travail de sensibilisation essentiel.

La descente aux enfers commence comme ça. Aussi simplement et banalement que ça. De retour de soirée, alors que ses deux amis squattent encore son canapé, Candide se connecte, comme tant d’autres avant lui dans pareilles circonstances, sur Grindr, l’une des applications de rencontres les plus utilisées par les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Au cours de la folle nuit qu’il vient de passer, il a déjà succombé au charme du bel Hugo, mais il se met, par envie ou par habitude, à discuter avec un autre noctambule qui habite à quelques centaines de mètres. L’inconnu se montre rapidement très entreprenant et propose à Candide un « plan planant » – soit une relation sexuelle sous stupéfiants – avec trois autres partenaires déjà présents chez lui. Intimidé, le jeune homme refuse, pour cette fois, mais n’a pas tout à fait dit son dernier mot. Quelques jours plus tard, Ilyes débarque dans son appartement. Contrairement à Candide, le trentenaire n’est pas là pour discuter ni faire plus ample connaissance. Avant d’en venir aux choses sérieuses, il prend une « trace » et invite son amant à faire de même. D’instinct, Candide décline, puis il accepte, finalement, pour plaire à l’éphèbe qui lui fait face.

Sans le savoir, le jeune homme vient de succomber au charme de la 3-MMC, l’une des drogues les plus utilisées par les chemsexers. Aphrodisiaque, euphorisant, vitalisant, ce produit de synthèse augmente les performances, décuple les sensations et permet de s’adonner à des relations sexuelles hors du commun, ce à quoi notre tandem n’échappe pas : interrogé par ses amis au lendemain de cette soirée, Candide leur confie qu’il a « baisé pendant 20 heures ». Loin d’être de la vantardise, cet aveu reflète une réalité et conduit l’étudiant en art originaire de Maubeuge, une fois la phase de descente digérée, à renouveler l’expérience. Lors de leur deuxième rencontre, Ilyes lui offre du GHB, une autre drogue fétiche des adeptes du chemsex, et, rapidement, les choses s’emballent. D’entrevue en entrevue, d’autres partenaires les rejoignent, et le tête-à-tête des débuts ressemble bientôt à une partouze à trois, quatre, cinq, six, avec des hommes autant venus pour baiser que pour se défoncer, avec des produits toujours plus puissants, et dangereux, qu’ils s’auto-administrent parfois en intraveineuse. De croisée des chemins en croisée des chemins, la machine à broyer est en place, implacable, incontrôlable, inarrêtable, et, tandis qu’il voit ses sentiments pour Ilyes rabroués, Candide met le doigt dans l’engrenage de l’addiction.

Cette histoire, Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn l’ont tissée à partir de leur propre vécu, mais aussi d’autres témoignages récoltés auprès de chemsexers, de travailleurs sociaux, d’addictologues et de membres du tissu associatif confrontés à cette problématique. Grâce à ce travail fouillé, les deux artistes, et c’est là la première réussite de leur spectacle, parviennent à embrasser les multiples dimensions de cette pratique, sans jamais sombrer dans le jugement moral ou la diabolisation. À travers le parcours de Candide, se reflètent l’expérience du consommateur, bientôt perdu dans les paradis artificiels, en proie à ses tourments intimes, guidé par la drogue plus que par le sexe, soumis à des violences occasionnées par l’altération de son consentement et en proie à un risque de mort par overdose ; l’explosion de la vie sociale des chemsexers qui, peu à peu, coupent les ponts avec leur entourage amical et familial et voient leur trajectoire scolaire ou professionnelle percutée par leur addiction ; le rôle crucial des applications de rencontres géolocalisées, et notamment de Grindr, qui agissent comme un facilitateur, voire comme un moteur de la pratique ; mais aussi l’absence de réaction forte des pouvoirs publics – qui rappelle l’incurie des débuts de l’épidémie de Sida – et l’impuissance d’une partie du corps médical qui, encore insuffisamment formé à ce sujet, peine à détecter et à accompagner les chemsexers.

Surtout, par le biais d’un groupe de parole qui leur sert d’habile fil rouge dramaturgique, Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn montrent que le chemsex n’est pas réservé à une catégorie spécifique d’individus, mais peut toucher tout un chacun, quel que soit son âge, vingtenaire comme quinquagénaire, sa profession, travailleur du sexe comme cadre dans un grand groupe, son origine – et, pourrait-on ajouter au vu des récentes études, son lieu d’habitation, tant la pratique, initialement très urbaine, s’est depuis quelques mois, et notamment à la faveur des confinements successifs, étendue aux petites villes et au milieu rural. Si le spectacle, émaillé de références à leur quotidien, parlera évidemment aux LGBTQIA+, il parvient pour autant, et c’est là sa seconde réussite, à dépasser les frontières communautaires et participe à un travail de sensibilisation beaucoup plus large qui peut permettre d’éveiller les consciences au sujet d’un problème de santé publique qui commence tout juste à percer le mur du son médiatique, alors qu’il est déjà bien ancré – même si la prévalence du chemsex est difficile à quantifier, un rapport remis au ministère de la Santé en 2022 estimait que 20% des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes pourraient être concernés – et se diffuse dans d’autres couches de la société.

Car, au-delà de la finesse du propos qui écarte soigneusement les clichés et les jugements à l’emporte-pièce, qui, tout en restant direct, et parfois cru, évite l’écueil trash et sensationnaliste propre aux écuries d’Augias ou aux 120 Journées de Sodome, qui véhicule, et c’est heureux, une réelle tendresse vis-à-vis des personnages qu’il met en scène, Amours Chimiques assume une vraie théâtralité. Porté par une belle bande de comédiens, et une comédienne, qui font autant exulter leurs corps qu’ils maîtrisent leurs différents rôles, le voyage initiatique du jeune Candide, volontairement réaliste, est parsemé de tableaux à l’esthétique queer revendiquée qui permettent, à intervalles réguliers, de relancer le rythme, et d’instiller une dose bienvenue d’humour, de poésie, mais aussi d’amour. Car, au coeur des paradis artificiels comme ailleurs, il n’est, en définitive, question que de son manque.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Amours Chimiques
Texte et mise en scène Corentin Hennebert, Joseph Wolfsohn
Avec Tao Dersoir, Frederic Dietz, Corentin Etienne, Maël Leurele, Samsy Missamou, Valentin Nerdenne, Wedia Pendje, Joseph Wolfsohn
Chorégraphies Joseph Wolfsohn
Création costumes Jibé Assey
Création vidéo Loïs Douady
Création lumière James Forgeard
Régisseur général Ruben Veau

Production Compagnie Les Adelphes de la Nuit
Avec le soutien de Nouveau Gare au Théâtre, Super Théâtre Collectif, Les Chantiers du théâtre de Villeneuve-sur-Yonne, BALLORIN, Maison Chéri.e, Espace Beaujon, Checkpoint Paris, Playsafe, Aides, Lavoir Moderne Parisien

Ce spectacle a reçu le Prix du Public Propulsion 2023 créé par Les Plateaux Sauvages, Le Regard du Cygne et la Mairie du 20ème arrondissement de Paris.

Durée : 1h30

Vu en mai 2024 au Lavoir Moderne Parisien

La Reine Blanche, Paris
du 17 au 22 juin 2025

21 mai 2024/par Vincent Bouquet
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