L’auteur et metteur en scène reprend un spectacle créé à la Maison d’arrêt d’Arles en 2019, avec deux anciens détenus et trois actrices professionnelles. Ce patchwork de saynètes issues de pièces plus anciennes est une petite merveille.
Un choc… Encore un. Malgré sa présence incontournable dans le paysage théâtral, en dépit des modes qui se bousculent, compte tenu de notre soif de nouveauté, le talent de Joël Pommerat nous surprendra toujours. Découverte au Méta, le CDN de Poitiers, dans le cadre des Rencontres d’Automne, Amours (2) est pourtant une pièce particulière dans l’œuvre de l’artiste. Pour sa brièveté. Pour son dénuement absolu. Pour ses conditions de créations. Pour son côté « Best of ». Pour sa dimension sociale. Une pièce mineure, diraient certains ; à raison peut-être… Mais qu’importe, l’intensité des moments de théâtre vécus ce vendredi 22 octobre dans le petit auditorium du Musée Sainte-Croix a peu d’équivalant. Et la conclusion s’impose : la magie du théâtre de Joël Pommerat n’est pas qu’une question d’artifices, de lumières, de sons, de moyens et de technique. Elle tient d’abord à son écriture et sa direction d’acteur.
Quelques éléments de contexte, d’abord. Joël Pommerat, comme de nombreux metteurs en scène, travaille dans des prisons, avec des détenus. Il intervient depuis 2014 à la Maison Centrale d’Arles. Une fois créés, certains spectacles sont ouverts au public et à la presse. Ce fut le cas de Marius, d’après un texte de Marcel Pagnol, en collaboration avec Caroline Guiela Nguyen. Ce fut le cas d’Amour (1), en 2019. Amour (2) en est la reprise ; à quelques différences près. Depuis, l’un des détenus, Jean Ruimi, a été libéré. Il figure toujours à l’affiche, qu’il partage avec Redwane Rajel, un ancien prisonnier (repéré dans le Hamlet à l’impératif ! d’Olivier Py) et trois actrices professionnelles : Roxane Isnard, Elise Douyère et Marie Piemontese, actrice historique de la compagnie Louis Brouillard fondée par l’artiste.
Amour est constituée de fragments de trois pièces du metteur en scène : Cet enfant (la recréation de Qu’est-ce qu’on a fait ? 2003), La Réunification des deux Corées (2013) et Cercles / fictions (2010). L’expérience est étrange si l’on connaît le travail du metteur en scène, semblable à une série de déjà vu où les souvenirs que l’on pensait enfouis resurgissent, nous laissant dans un état cotonneux, à la lisière de la réalité. Les scènes, très brèves (une dizaine de minutes en moyenne), s’enchaînent sans interruption. Il y a cette mère, trop jeune et trop pauvre, qui donne son bébé à un couple stérile. Il y a ce fils qui, à l’âge adulte, décide de se rebeller contre son père, brutal et buté. Il y a aussi l’amour de jeunesse d’une femme mariée qui fait irruption dans sa vie et bouleverse son couple. Et tant d’autres. Le fil rouge, bien sûr, est l’amour qui lie ces personnages, mais plus précisément la folie (voire la violence) qu’il peut engendrer. À chaque fois, l’instant ordinaire et les liens communs, croqués en quelques mots, basculent dans la tragédie pure. Vraisemblable ou pas. Là n’est pas la question.
Et c’est précisément la force de cette écriture. Ces précipités de vies nous révèlent ; imprévisibles et sauvages, entiers et inflexibles. Devant les spectateurs (une soixantaine à tout casser), il n’y pas quasiment pas d’éléments de décor, ou d’accessoires. Deux chaises. Un téléphone. Une source de lumière. Ce qui suffit à Joël Pommerat pour faire surgir tout un monde. L’équilibre entre la force et le magnétisme des détenus avec la finesse et la profondeur de jeu des comédiennes professionnelles est idéal. Le bouleversement qu’il est à même à provoquer en chacun de nous est immense. En une heure dix, cette petite équipe nous montre ce que peut le théâtre. Pour les non avertis, ce sera une révélation. Pour les autres, un ravissement.
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
Amours (2), écrit et mis en scène par Joël Pommerat
Avec Marie Piemontese, Roxane Isnard, Elise Douyère, Redwane Rajel et Jean Ruimi
Direction technique Emmanuel Abate
Assistante à la mise en scène Lucia Trotta
Production Compagnie Louis Brouillard
Coproduction La Comète, Scène nationale de Châlons-en-Champagne ; les Théâtres à Marseille ; Gallia Théâtre Saintes – Scène conventionnée d’intérêt national
Avec le soutien de la Maison Centrale d’Arles, du SPIP 13, de la DRAC PACA et de la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires du Sud-Est.
Ce projet a été rendu possible grâce à la Fondation d’entreprise Hermès.
La Compagnie Louis Brouillard reçoit le soutien du ministère de la Culture/DRAC Île-de-France, et de la Région Île-de-France.
Joël Pommerat et la Compagnie Louis Brouillard sont associés à Nanterre-Amandiers, à la Coursive/Scène nationale de La Rochelle, à la Comédie de Genève et au TNP/Théâtre National Populaire du Villeurbanne.
Durée : 1h10
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 4 au 13 février 2025
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