A l’Opéra de Bordeaux, la designeuse matali crasset, connue pour ses créations ludiques et politiques, propose jusqu’au 31 décembre, une version épurée et graphique du célèbre ballet romantique Giselle, sur fond de lutte des classes.
Dans sa réinterprétation contemporaine de ce classique des ballets de l’ère romantique, racontant un amour impossible par-delà la mort, matali crasset confronte deux mondes viscéralement opposés. « Il y a le monde d’en bas, une communauté de villageois qui défend le vivant, et le monde d’en haut, celui des propriétaires terriens qui craignent de perdre leurs privilèges », explique la créatrice, reconnaissable à sa coupe à la Jeanne d’Arc et ses lunettes carrées.
Dans ce récit né de l’imagination de Théophile Gautier et chorégraphié à Paris en 1841 par Jean Coralli et Jules Perrot, Giselle est une jeune villageoise qui meurt en apprenant qu’Albrecht, l’homme dont elle est tombée amoureuse, est un aristocrate déjà fiancé à une princesse.
Marqueur de différences entre ces deux mondes: la matière des costumes, en serpillères de coton et déchets recyclés pour les villageois; en matière synthétique – polyester et élasthanne – rappelant les maillots de bain et combinaisons étanches pour la noblesse.
Grâce au « savoir-faire » des costumiers de l’opéra bordelais, le tissu gaufré teint en vert olive ou orange mandarine, fabriqué par le dernier fabricant français de serpillières dans le Rhône, se révèle étonnamment élégant, « presque comme une veste en tweed iconique de chez Chanel » , sourit la designeuse.
Les costumes sophistiqués de la noblesse, rappelant les lignes de Courrèges, aux couleurs « un peu artificielles », entre turquoise, rose ou violet ultra vif, dénotent du « culte de l’apparence » d’une société « déconnectée du vivant ».
Mais le véritable « personnage principal » du ballet, jonglant entre tradition et modernité, est bien le « tutu », qu’ « il n’était pas du tout question d’enlever, en particulier dans le deuxième acte, très féérique ».
Car Giselle se métamorphose ensuite en esprit qui hante la forêt. Elle rejoint les Willis, spectres de jeunes fiancées défuntes qui, la nuit, attirent les hommes pour se venger, les condamnant à danser jusqu’à la mort. Dans un dernier tête-à-tête amoureux, avant que les premières lueurs du jour ne fassent disparaître les fantômes, Giselle sauvera l’être aimé.
Dans la scénographie, la forme iconique du tutu est partout : dans les branches des arbres formés de tubes de bois, dans la chaumière stylisée de Giselle, la crinoline de la reine, les cols à la Médicis et bijoux des aristocrates.
Parés de longs rubans de soie blanche, les bustiers et tutus vaporeux des danseuses deviennent aussi graphiques, tout comme les capes et les guêtres et décorations d’apparats des nobles ou les haillons des vendangeurs. Par petites « touches symboliques », la scénographie renforce aussi un récit « plus écologique et féministe » avec des Willis « femmes fatales qui prennent le pouvoir ».
« Je me suis amusée, en apportant un côté ludique pour emporter tout le monde, amateurs de ballet et néophytes », ajoute la créatrice touche-à-tout, qui a travaillé pour une grande marque d’ameublement scandinave et des kiosques de journaux parisiens. Ses jeux de couleurs relookent nombre de locaux éducatifs et culturels ou encore les dernières rames du Thalys.
La designeuse, dont la réflexion créatrice s’articule aussi autour des valeurs d’empathie, a volontairement chassé tout décor peint du paysage pour permettre au spectateur d’être « au plus près » des danseurs, ajoute-t-elle.
Cette nouvelle version, sans les codes et accessoires du ballet traditionnel, est plus porteuse de sens, selon le directeur de ballet. « Est-ce qu’on a finalement besoin de peindre des arbres pour avoir une forêt, ou un prince avec une épée? On comprend très bien l’histoire et ces deux mondes qui se font face avec de simples lignes. Les moments codifiés ont été changés en regards, plus intenses au niveau de l’interprétation », pointe Eric Quilleré, le directeur du ball de l’Opéra de Bordeaux.
Une version contemporaine de Giselle « plus humaine » à laquelle « on s’identifie plus » selon lui. « Giselle, ici, Ce n’est plus juste de la danse, c’est un message ».
Karine Albertazzi © Agence France-Presse
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