Dans Ambregris, présenté au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes (20-29 septembre 2019) de Charleville-Mézières, Patrick Sims part de l’histoire de Pinocchio pour composer une belle et foisonnante rêverie. Un carrefour de contes et de mythes, composé à partir de techniques diverses, réunies en une « opérette alchimique pour marionnettes ».
Pour Patrick Sims, fondateur de la compagnie Les Antliaclastes, la marionnette est un art pluriel, métissé, qui permet d’arpenter et d’inventer des mondes à son image. De petits univers tragi-comiques bâtis à partir de références variées. Des microcosmes où masques, machines ou encore pantins à fils, fabriqués dans un petit village de l’Allier où est basée la compagnie, se mêlent pour former des images composites et des récits du même acabit. Plein de créatures étranges, à la fois inquiétantes et enfantines, l’imaginaire de Patrick Sims a ainsi construit la laverie souterraine d’un Museum d’Histoire naturelle de seconde catégorie (Hilum, 2010). Il a revisité la légende perse du fondateur de la secte d’Alamût (Le Vieux de la Montagne, 2012), questionné la paternité des œuvres de Shakespeare (Here lies Shakespeare, 2015), et s’est promené librement dans l’univers de Grimm (La Valse des Hommelettes, 2016). Lorsqu’il décide d’aborder l’histoire de Pinocchio dans Ambregris, c’est donc nourri de tous ces univers. En route vers de nouvelles aventures.
Après le chalet rupestre de La Valse des Hommelettes, habité par un coucou cinglé et par tout un tas de bestioles articulées, Patrick Sims s’est choisi pour castelet géant un drôle de laboratoire. Un orgue à parfums aux airs de train fantôme, peuplé de créatures aussi diverses que dans toutes les créations des Antliaclastes. Parmi lesquelles un Pinocchio aux airs d’outre-tombe, au long nez planté au milieu d’un crâne qui semble davantage fait d’os que de bois, d’oùsortent deux oreilles d’un animal qui sans doute n’existe pas. Présenté par deux minuscules sirènes qui sortent d’une trappe pour plonger leur queue dans un verre à cocktail, le pantin malheureux n’a pas grand-chose en commun avec celui de Carlo Lorenzini. Encore moins avec celui de Walt Disney.
Pas de Gepetto en vue dans Ambregris, ni de montreur de marionnettes qui réponde au nom de Mangefeu. Aucune trace de Jiminy Cricket, ni de Grand Coquin. Si le fameux personnage de conte intéresse Patrick Sims, c’est pour un seul épisode de sa vie tumultueuse : celui où, à la recherche de son créateur, il se fait avaler par une baleine. Animal dont la bile produit la substance éponyme du spectacle : l’ambre gris, très prisée des parfumeurs pour sa senteur, et sa capacité à fixer les odeurs sur la peau. Nous sommes proches de l’alchimie, à laquelle font penser les mélanges surréalistes auxquels s’essaie dans son castelet-laboratoire un personnage qui semble tout droit sorti du plus connu des romans de Patrick Süskind, Le Parfum, porté par un marionnettiste qui en guise de masque porte un grand nez. Mais nous sommes aussi dans un monde plein de mécanismes divers, aussi bien manuels qu’électriques, manipulés la plupart du temps avec une discrétions exemplaire par Karine Dumont, Nicolas Hubert, Richard Pennu et Patrick Sims lui-même, toujours à l’atelier et au plateau.
Si Patrick Sims part d’une histoire populaire, c’est pour déployer un maximum d’images étranges, de merveilleux et souvent inquiétants récits, selon une logique qui est lui propre. Proche de celle de la Beat Generation, pour laquelle il a affirmé son goût dans Le Vieux de la Montagne, en abordant le conte perse à travers l’apport de William Burrough. En une sorte de cut-up marionnettique où l’analogie est reine, Ambregris convoque ainsi toutes sortes de figures liées de près ou de loin à la baleine et à sécrétion fabuleuse. Laquelle est alors pareille aux drogues recherchées par les auteurs de la Beat Generation : un Graal qui vaut autant, voire davantage, pour les images qu’il suscite que pour lui-même.
Dans ce voyage au pays des Antliaclastes, on croise ainsi un Jonas miniature, encastré dans un cachalot à son échelle. Entre deux expériences chimiques qui mettent le castelet dans tous ses états, apparaît un grand masque de capitaine Achab en quête de Moby Dick. Et bien d’autres curiosités hétéroclites, mais bricolées avec une ingéniosité, avec une poésie singulière qui fait l’unité du monde complexe, fou, de Patrick Sims. Son audace, dont la perpétuelle mutation fait de chacun de ses spectacles le prolongement du précédent et de tous les autres. Sans obéir à la loi du suspense, ni à celle de la nouveauté. Entre conte, mythe et objet, Patrick Sims évolue comme un loup de mer amoureux des tempêtes. Il prend sans cesse des risques, entreprend toujours de nouveaux et passionnants périples.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Ambregris
Conception, mise en scène, marionnettes : Patrick Sims
Marionnettes, masques, costumes, accessoires : Josephine Biereye, Camille Lamy
Décor, accessoires, machines et mécanismes : Richard Penny, Nicolas Hubert
Création Musique et son : Karine Dumont
Création vidéo : Mickaël Titrent
Création lumière : Jean Grison
Création Lumière et Régie Générale : Sophie Barraud
Avec : Karine Dumont, Patrick Sims, Nicolas Hubert, Richard Penny
Production : Les AntliaclastesCo-productions : TJP de Strasbourg / CDN – Le Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville.
Les Antliaclastes est une compagnie conventionnée par la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et le Conseil Départemental de l’Allier.Durée : 1h
Festival de Neuchâtel (Suisse)
Les 12 et 13 novembre 2019
La Souterraine (23)
Les 16 et 17 janvier 2019
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