Dans le cadre des « Premières parties » organisées au Studio de la Maison de la Danse de Lyon – un dispositif permettant de découvrir des œuvres dans une grande proximité et intimité –, Ambra Senatore joue Par d’autres voix. Soutenu par un riche travail de composition sonore, signée Jonathan Kingsley Seilman, ce solo est aussi délicat formellement qu’attentif aux voix qu’il convoque.
Pour son nouveau solo chorégraphique, Ambra Senatore rassemble dans une atmosphère balançant entre jeu et gravité, légèreté et intensité, une multiplicité de personnes et de voix de femmes. Dans ce spectacle créé en 2024, la chorégraphe et performeuse italienne – par ailleurs directrice du Centre chorégraphique national de Nantes – qui a, au cours de sa carrière, travaillé sur des soli, avant de cheminer plus volontiers vers des pièces de groupe, revient ici à une forme plus modeste. Et que l’on connaisse ou pas son travail, on ne peut qu’être charmé par la générosité du geste, le jeu subtil entre théâtre et danse et le goût pour un propos (comme une structure) syncopé, s’amusant des ruptures et des échos.
Debout face au public, sur un plateau nu et micro en main, Ambra Senatore commence par s’adresser à nous. « Normalement ce serait sous-entendu que vous pouvez partir quand vous voulez », nous lance-t-elle, avant d’ajouter : « Mais pas ce soir. On a fermé la porte ». Ce qui peut avoir l’allure d’une simple boutade ou d’une demi-provocation, et est de fait teinté d’humour, prend une autre dimension lorsque, quittant la scène tout en continuant à grommeler dans le micro, la danseuse lâche, entre autres : « Quand je pense qu’il y en a qui sont obligé·es de partir ». L’on saisit alors que tout ce qui va suivre n’aura rien d’univoque, et que les gestes, actions, cheminements et pensées que l’on va découvrir sont parfois autant décidés qu’imposés – par l’environnement, la société ou la famille.
Pendant une petite heure, la polysémie portée par l’intitulé – des voies aux voix – est explorée de toutes parts, qu’il s’agisse de la création sonore et musicale, de la chorégraphie, des gestes, ou des paroles prononcées par l’artiste en scène. L’articulation de tous ces éléments et disciplines dessine un parcours multiple, que l’on peut lire autant comme une réminiscence de souvenirs de voix trop longtemps inaudibles ou oubliées, comme une écoute de ses voix intérieures, ou comme une agrégation de voix rencontrées. Côté danse, celle-ci est faite de ruptures : le corps s’affaisse et se redresse, les mains se cassent, les poings parfois se serrent, les bras guident les jambes et impulsent les déplacements. Tantôt mimant des gestes illustratifs renvoyant à la maternité, tantôt se laissant aller à une danse éperdue ou, alors, se ralentissant, la chorégraphie se tresse finement au travail vocal et musical. Côté paroles, il y a celles – en français ou en italien – prononcées par Ambra Senatore : simples mots, bribes de phrases, répétitions de formules se lestant d’un sens plus sombre dans la redite comme les échos, déclarations adressées au public. Et il y a celles qui surgissent, seules ou en polyphonie dans la création sonore. Côté musique, la guimbarde s’invite, disparaît, revient avec des percussions, puis cède la place ou se mêle à une musique électronique ultra ludique. L’ensemble se répète, reprend, la variation et l’enchevêtrement de la danse et du son permettant d’enrichir la palette des émotions suscitées.
Mine de rien, ce Par d’autres voix rassemble pas à pas une liste de figures qui s’entrelacent, se répondent. Des figures de femmes souvent marquées par leurs relations aux autres, le poids de l’empêchement lié à des cultures ou des traditions. Des figures qui résistent à leur niveau, parfois seulement en ne chutant pas, ou en se relevant, même péniblement. Avec délicatesse et une belle sincérité, la danseuse et chorégraphe compose par fragments une communauté, avance par petites touches ou par à-coups. Progressivement, elle en vient à esquisser une carte, sorte de géographie métaphorique investissant tout le plateau, à l’aide de menus objets liés aux travaux manuels traditionnellement féminins : napperons, broderies, pelotes de laine. Un territoire imprenable, car appartenant à l’intime, à l’imaginaire et au sensible.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Par d’autres voix
Chorégraphie, texte, interprétation et voix Ambra Senatore
Citations d’autrices Shokoofeh Azar, Parwana Fayyaz, Nawal El Saadawi, Benedetta Tobagi, Teresa Vergalli, Homeira Qaderi, Sudabeh Mohafez
Muque originale Jonathan Kingsley Seilman
Musique additionnelles Tomaga, Rita Iannotta
Régie son et manipulation live, en dialogue avec Ambra Senatore, Jonathan Kingsley Seilman en alternance avec Solène Le Thiec
Lumières Fausto Bonvini
Regard extérieur Agustina SarioProduction CCN de Nantes
Coproduction Théâtre de Suresnes Jean Vilar ; L’Espace Michel Simon – Noisy-le-Grand
Soutien Le CND, Centre National de la Danse – Pantin ; La Briqueterie-CDCN du Val-de-Marne ; Le Théâtre Jacques Carat – Cachan ; Le Carreau du Temple – Paris ; Le Théâtre du Garde-Chasse – Les Lilas ; Le Théâtre Francine Vasse – Les Laboratoires Vivants-Nantes ; Le Conservatoire de Bagneux ; Angers Nantes Opéra – Nantes ; La SACD/ Maison des Auteurs – ParisDurée : 1h
Maison de la Danse, Lyon
les 26 et 27 novembre 2025Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine
le 5 décembre
CCN de Nantes
les 10 et 11 décembreOpéra de Limoges
le 16 janvier 2026
Pôle Sud, CDCN Strasbourg
le 5 mars
Théâtre de la Ville, Paris
du 10 au 13 juin

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