Artiste associé au Centre chorégraphique national de Tours, Emmanuel Eggermont met en scène All Over Nymphéas, inspiré par l’œuvre de Claude Monet. Minimaliste et étrange, son univers glacé séduit, mais nous perd dans ses références trop nombreuses.
Peut-être que tout commence quelque part sous l’eau, alors que la vie est en train de naître. Au sol, des formes géométriques évoquent un tapis océanique. Suspendues par d’invisibles fils en nylon, des tiges en acier symétriques se meuvent au gré du courant. Des enceintes, en fond de scène, diffusent une musique lointaine, enveloppante ; comme si elle était entendue in utero. Dans le Gymnase du Lycée Saint-Joseph, le monde saturé de bleu conçu par le chorégraphe Emmanuel Eggermont évoque l’ambiance des films de science-fiction : on pourrait être dans le Dune de Denis Villeneuve, ou le Prometheus de Ridley Scott.
Cinq danseurs arrivent. Les corps s’articulent, cherchent l’équilibre. Leurs nerfs se coincent et bégaient. Il y a deux hommes et trois femmes. Les voilà tantôt animal, tantôt robotique, mais, bientôt, les mains commencent à effectuer des gestes plus amples, plus doux, plus gracieux… Et même si leurs visages restent inexpressifs, la chorégraphie s’impose, lentement ; chacun, chacune s’approprie un motif, ou plutôt une signature qu’il ou elle reprendra au fil du spectacle. L’un se met à trembler alors qu’il effectue un mouvement simple, l’autre évoque la figure d’un crabe qui se lève, défiant les lois de la gravité.
Et puis la musique s’intensifie. Scandé par une grosse caisse synthétique, le rythme tonne sous les tapis de nappes saturés. L’océan disparaît. Et la scène devient une espèce de lieu branché. Nous voilà peut-être devant un catwalk ; on pourrait être à la Fashion Week. En coulisses, les danseurs se parent de costumes criards et foulent le plateau en ligne droite, avant de rebrousser chemin. Ils affichent la mine sérieuse des top-modèles. C’est assumé, répété à l’envi. C’est ridicule, et cette autodérision est plutôt bienvenue, mais l’on ne sait toujours pas où l’on est…
Pour construire son spectacle, Emmanuel Eggermont (qui fait partie des danseurs) s’est inspiré d’un tableau intitulé Les Nymphéas de Claude Monet, mais aussi du travail de Jackson Pollock et de Claude Viallat, paraît-il… La recherche graphique, d’un minimalisme assumé, est d’une beauté indéniable, mais cette abstraction ne nous a pas évoqué la nature (hormis l’univers aquatique décrit plus haut). Elle nous a surtout rappelé une certaine idée du monde contemporain. Apprêtés et narcissiques, les êtres se déplacent à des rythmes effrénés, ils se croisent souvent, ils s’entrechoquent parfois, ils s’éloignent toujours, mais jamais ne se regardent.
C’est beau formellement, et la technicité des gestes impressionne. C’est aussi d’une grande richesse métaphorique, on peut y voir ce que l’on veut, mais il manque tout de même une maîtrise des variations d’intensité. On aurait aimé davantage de montées en puissance, on aurait aimé vibrer à l’unisson de ces cinq danseurs, on aurait aimé partir de quelque part pour arriver ailleurs. Une véritable évolution aurait été bienvenue, mais il y a de quoi trouver du plaisir : dans la musique de Julien Lepreux, qui s’inscrit dans la lignée du duo électro britannique Plaid, ou dans les jeux de lumière d’Alice Dussart qui participent à l’envoûtement. D’une grande richesse, le monde d’Emmanuel Eggermont est composite. Peut-être trop. Attendons qu’il se précise. Tout est là. C’est une question de temps.
Igor Hansen-Love – sceneweb.fr
All Over Nymphéas
Conception, chorégraphie, scénographie Emmanuel Eggermont
Avec Éva Assayas, Mackenzy Bergile, Laura Dufour, Emmanuel Eggermont, Cassandre Munoz
Collaboration artistique Jihyé Jung
Musique Julien Lepreux
Lumière Alice Dussart
Costumes Emmanuel Eggermont, Jihyé Jung, Kite VollardProduction L’Anthracite
Coproduction Centre chorégraphique national de Tours, Le Gymnase CDCN Roubaix Hauts-de-France, Théâtre de Liège, Le Phare Centre chorégraphique national du Havre Normandie, Le Vivat (Armentières), L’Échangeur CDCN Hauts-de-France (Château-Thierry), micadanses (Paris)
Avec le soutien Centre national de danse contemporaine (Angers), Boom’Structur (Clermont-Ferrand), mécénat de la Caisse des Dépôts
Avec l’aide de la Drac Hauts-de-France – ministère de la Culture et de la Région Hauts-de-FranceDurée : 1 h 20
Festival d’Avignon 2022
Gymnase du Lycée Saint-Joseph
du 8 au 13 juilletLa Comédie de Clermont-Ferrand
du 15 au 16 novembreKlap, maison pour la danse, Marseille
le 10 janvier 2023Pavillon ADC, Genève
du 20 au 22 janvier 2023Tandem, Scène nationale Arras-Douai
le 12 avril 2023
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