Alexandra Tobelaim confie Face à la mère, texte de l’auteur d’origine haïtienne Jean-René Lemoine, à trois comédiens et trois musiciens. Un spectacle concert d’hommes enfants où l’histoire personnelle de l’auteur se fond dans l’universalité de la thématique du lien filial et maternel.
Face à la mère, c’est d’abord face à la mort. Tout commence avec la perte, les funérailles où « il faut être fort », les larmes empêchées. Le deuil qui ne peut pas se faire si la douleur doit être tue. Ultime frustration d’une relation qui en a beaucoup compté, que Jean-René Lemoine retrace ensuite via un retour en arrière. L’enfance en Afrique et l’adolescence en Belgique. Le père qui part, la sœur aussi. Le face à face avec une mère qui parait intransigeante à l’enfant, la relation qui se tend à l’adolescence lorsqu’on devient « méchant », jusqu’au départ, la séparation lorsqu’il s’agit de devenir adulte. Et le lien fragile qui s’installe après. Distant, trop distant.
Nous avons sans doute toutes et tous à réparer quelque chose de notre lien à la mère. Et Jean-René Lemoine inscrit son histoire particulière dans ce schéma universel. Chacun.e y trouvera matière à s’identifier et à se consoler puisque ce chant d’amour, cet appel dans le vide de « l’absence infinie », retisse par delà la mort ce que la vie avait défait.
Alexandra Tobelaïm l’a bien compris. Ainsi, lorsqu’on arrive dans la salle, les trois comédiens et trois musiciens saluent les spectateurs de leur bord de scène, avec un sourire bienveillant. Réconfortant. Les trois interprètes forment un chœur, un seul garçon, une seule voix qui s’éclate ou se rassemble au gré du texte de Lemoine. Performance chorale qui n’empêche pas chacun d’avoir sa couleur. L’un resté plus enfant, ému, encore plein de sa colère et de son émotion. L’autre plus robuste, intérieur et minéral. Et le troisième plus affirmé, adulte et effronté. Ils forment une triade complémentaire qui arpente la salle en tous sens, dans une chorégraphie aux allures spontanées. Des mouvements un peu énervés, sous forme d’aller retours, comme s’il fallait quitter la parole pour se cacher, se calmer un peu, se reprendre ou bouder puis se relancer.
Avec eux, un guitariste, un violoncelliste et un batteur suivent et impriment les humeurs du texte dans une composition d’Olivier Mellano. Noir profond pour démarrer, long, dans lequel naissent quelques notes comme pour signifier l’émergence d’un ailleurs. Rock lorsqu’éclate la colère adolescente. Ils soulignent également la musicalité naturelle d’un texte à la fois poétique et limpide, au lyrisme en retenue.
Mais face à la mère, c’est aussi face à la mer. Celle qui sépare les êtres, et particulièrement la mère restée en Haïti de Jean-René Lemoine. Haïti, pays qui sombre dans « la barbarie », dans une violence qui emportera la mère avec elle. Au fond du plateau aux couleurs crème, du sable déborde d’une petite barrière en bois tandis qu’un écran blanc en fond de scène dessine un horizon infini et évanescent vers lequel tous se tournent à la fin. On y voit la mer. Aboutissement de la réconciliation. Le lien perdu dans la vie et la mort se reconstitue par l’écriture et un spectacle touchant.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Face à la mère
Texte Jean-René Lemoine
mise en scène Alexandra Tobelaim
création musicale Olivier Mellano
scénographie Olivier Thomas
lumière Alexandre Martre
travail vocal Jeanne-Sarah Deledicq
costumes Joëlle Grossi
régie son Emile Wacquiez avec Astérion (contrebasse), Stéphane Brouleaux, Yoann Buffeteau (batterie), Lionel Laquerrière (guitare et voix), Geoffrey Mandon, Olivier Veillonproduction cie Tandaim production déléguée NEST — CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est coproduction Théâtre du Jeu de Paume – Aix en Provence ; Réseau Traverses — association de structures de diffusion et de soutien à la création du spectacle vivant en Région PACA ; Pôle Arts de la Scène — Friche la Belle de Mai ; Théâtre du Grand Marché — CDNOI ; Théâtre Durance — scène conventionnée Château-Arnoux/Saint-Auban ; Théâtre Joliette — scène conventionnée pour les expressions contemporaines ; La Passerelle — scène nationale de Gap et des Alpes du Sud avec le soutien de l’ADAMI, de la SPEDIDAM, du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques — DRAC et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur ; du CENTQUATREPARIS. Le texte de Face à la mère est publié aux Solitaires Intempestifs.
Durée : 1h30
Théâtre de la Tempête
du 5 au 15 mai 2022
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !