Pour la 12ème biennale Odyssées en Yvelines dédiée à l’« enfance et la jeunesse », Joachim Latarjet adapte dans un contexte contemporain le célèbre conte Un Joueur de flûte. Ode à la musique doublée d’une critique de l’individualisme et de la surconsommation, cette pièce multiplie les messages avec habileté, mais au risque du moralisme.
Parmi les sept artistes de la 12ème biennale Odyssées en Yvelines portée par le Théâtre de Sartrouville – CDN, le tromboniste et metteur en scène Joachim Latarjet est le seul à s’être emparé d’un texte pour la jeunesse déjà existant. Un texte qui plus est fort célèbre : Le Joueur de flûte de Hamelin, où les frères Grimm se sont inspirés d’une légende allemande du XIXème siècle. Dans ce très court conte – il tient en deux pages à peine –, la ville éponyme est envahie par des rats en l’an 1283, à la veille de Noël. Après l’échec des pièges et poisons utilisés par la mairie, un étranger se présente et promet d’éradiquer le fléau. Il est musicien, on le surnomme le « Joueur de flûte ». Sur la promesse d’une récompense de mille écus, il fait sortir de son instrument un air qui captive les rongeurs et les précipite dans la rivière. N’obtenant que la moitié de la somme promise, il se venge en procédant avec les enfants de Hamelin comme avec les rats. Et depuis ce jour-là, lit-on en conclusion, « lorsque le vent souffle de derrière les montagnes, l’on peut entendre des rires d’enfants heureux ».
Joachim Latarjet transpose le conte dans un contexte contemporain. Il incarne lui-même le musicien dératiseur, qui n’est donc plus joueur de flûte mais de trombone. Tandis que la comédienne Alexandra Fleischer porte tantôt la narration, tantôt la parole d’une maire cynique et prompte à oublier toutes ses promesses. Les protagonistes sont beaucoup plus développés que dans la fable d’origine. Le musicien a une histoire. C’est un orphelin qui, en traînant dans les bas-fonds de la ville, a rencontré un dératiseur qui lui a appris le métier. Sa psychologie est aussi davantage creusée que chez les frères Grimm : son indifférence à l’invasion est évidente, de même que sa motivation à y mettre fin. Le musicien veut de l’argent. Il méprise la maire qui partage pourtant la même obsession, et ne respecte sans doute pas plus les habitants décrits comme des consommateurs irresponsables.
Alors qu’elle est seulement suggérée chez les frères Grimm, la cause de l’arrivée des rats est aussi largement développée. Dans ce Joueur de flûte, les habitants ne récoltent que ce qu’ils sèment. C’est-à-dire leurs déchets, que les rats se chargent de ramener à la surface. En s’emparant ainsi du conte, Joachim Latarjet aborde nombre de sujets intéressants pour un public d’enfants à partir de 8 ans : l’écologie, la place de l’art dans la société et celle de l’argent, la relation entre sphère politique et citoyens… Cette richesse est aussi la limite de la pièce. En voulant saisissant toutes les pistes offertes par l’histoire médiévale, le musicien et metteur en scène a tendance à affaiblir l’efficacité du jeu et du dispositif qu’il a mis en place pour répondre aux exigences de format imposées par Odyssées en Yvelines.
Sur un plateau miniature tapissé d’herbe synthétique et équipé d’un écran où apparaissent des rats en gros plan et autres images réalisées par Julien Téphany et Alexandre Gavras, Joachim Latarjet et Alexandra Fleischer se livrent à une partition subtile et précise qui est la principale qualité de ce Joueur de flûte. L’un s’exprimant surtout à travers son instrument, l’autre par un flux hystérique de paroles mensongères, ils réussissent à exprimer une ambiguïté et une cruauté qui atténuent le didactisme, voire le moralisme avec lequel sont abordés tous les thèmes cités plus tôt. Dans ce Joueur de flûte comme dans celui des frères Grimm, le musicien autant que la maire ont leurs ombres et leurs beautés, qui n’ont guère besoin d’être éclairés par une foule de sujets d’actualité.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Le Joueur de flûte
Texte, musique et mise en scène : Joachim Latarjet
D’après Le Joueur de flûte de Hamelin des Frères Grimm
Avec : Alexandra Fleischer, Joachim Latarjet
Collaboration artistique : Yann Richard
Son et régie générale : Tom Menigault
Lumière : Léandre Garcia Lamolla
Vidéo : Julien Téphany, Alexandre Gavras
Costumes : Nathalie Saulnier
Production : Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN, Compagnie Oh ! Oui…
avec l’aide à la production dramatique de la DRAC Île-de-France
© illustration Atelier Poste 4Durée : 45 mins
Grande Halle de la Villette
11 et 12 décembre 2021
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