Alain Françon avait remis au goût du jour l’hiver dernier ce grand classique américain : « Qui a peur de Virginia Woolf ?». La pièce d’Edward Albee est un combat féroce entre deux couples au cours d’une nuit d’ivresse. Martha (Dominique Valadié) et George (Wladimir Yordanoff) invitent un couple plus jeune, Honey (Julia Faure) et Nick (Pierre-François Garel). Alain Françon donne à entendre la violence des mots de l’auteur américain. Albee vient de mourir à 88 ans, voici ce que nous disais Alain Françon lors de la création de son spectacle qui ensuite reçu deux Molières.
Il vous fallait ces quatre comédiens pour monter cette pièce ?
Oui mais il faut dire que Dominique Valadié et Wladimir Yordanoff m’ont demandé de monter cette pièce. Et les deux jeunes acteurs (Julia Faure et Pierre-François Garel ) ont été des élèves de Dominique lorsqu’elle était professeur au Conservatoire. Cette pièce ne fait pas partie du mon répertoire habituel, j’ai d’ailleurs un peu hésité et puis finalement je suis tombé sur le livre d’un groupe de psychanalystes et sociologue américains qui s’appelle « La logique de la communication » et il y a 150 pages d’analyse sur la pièce. Ils analysent la forme et le protocole de la parole qui lie George et Martha, comme un conflit coopératif. Je prends la boxe comme métaphore. Il y a des règles. Il y a de cela dans la pièce. C’est comme un protocole de survie entre eux avec des formes inouïes puisqu’ils inventent un enfant fictif. Mais la règle c’est de ne pas en parler. Et la femme va rompre cette règle. Alors George décide de « mettre à mort l’enfant ». Elle est presque plus tragique que s’il était vivant. Mais à la fin ils passent de l’humiliation à l’humilité.
C’est une pièce finalement peu jouée et pourtant les dialogues sont riches
En France dans notre tradition de théâtre psychologique on joue plutôt l’empoignade, le combat physique, comme si on oubliait la matière textuelle. En générale toutes les représentations de la pièce en France ce sont mal déroulées et ont fini par des procès. A la création, Madeleine Robinson et Raymond Gérôme avait chacun leur avocat dans la salle ! J’ai fait comme dans la tragédie classique. Tout ce qui est physique je l’ai fait à l’extérieur. C’est au spectateur à imaginer s’ils se sont mis des coups. Je ne voulais pas qu’ils existent sur le plateau car pour moi les coups sont d’ordre textuel.
Et puis il y a l’absent de la pièce, cet enfant, c’est l’intrigue
On ne peut pas expliquer une œuvre par la vie de son auteur mais tout de même Albee est un enfant adopté et cela s’est mal passé. Beaucoup de ses traumatismes viennent de là. Dans sa littérature il y a beaucoup d’enfants rebelles. Et dans la pièce on ne sait plus s’ils inventent ou non. Mais en fait j’ai enlevé les deux répliques où ils disent qu’ils n’ont pas pu avoir d’enfant. Cet auteur est vraiment magistral.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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