Avec Aime-moi, la jeune comédienne, et désormais dramaturge, dresse le portrait d’une trentenaire en proie à ses névroses personnelles et à ses contradictions amoureuses. Un seul en scène rondement mené qui, sous ses airs humoristiques, cache un propos aiguisé sur la difficulté d’être une femme aujourd’hui.
Puisque personne n’y va, Gerry se lance. Cachée dans le public, la jeune femme est venue, sur les conseils avisés de sa mère, assister à une thérapie collective de la dernière chance pour résoudre ses – gros – problèmes de cœur. Organisée sur le mode de l’auto-gestion, la réunion laisse le champ libre à qui le veut bien pour se confier sur ses tourments intimes, et la trentenaire est bien décidée à déballer son sac. Depuis dix ans, elle enchaîne les déconvenues, les histoires toxiques et les phases de célibat prolongé. En matière amoureuse, elle a tout connu, ou presque : la relation longue durée peu à peu gangrenée par une jalousie excessive, les dates à répétition aussi stimulants que déceptifs, les allusions salaces d’un vieux Monsieur que l’on n’avait pas vu venir, l’amant qui a déjà une femme et de multiples maîtresses, et ne vous accorde que de courtes entrevues de trente minutes une fois de temps en temps…
Loin d’être une célibattante assumée, Gerry est plutôt une jeune femme mal dans sa peau. D’une naïveté presque confondante, elle se laisse dévorer par ses névroses personnelles, mais aussi par cette candeur qui, dans la jungle amoureuse d’aujourd’hui, ne pardonne pas. Sans en avoir pleinement conscience, elle est la bonne pâte qui dit oui à tout, et se fait un peu prendre pour une idiote – pour ne pas dire plus. A travers son histoire, c’est tout un pan de la condition féminine qui se fait jour. Comme l’écrit Géraldine Martineau : « En France, une femme peut maintenant travailler, voter, enfanter, avorter, aimer une femme ou devenir un homme. Mais si nous avons toutes ces libertés et qu’il semblerait que la femme soit – presque – l’égale de l’homme, nous avons hérité d’un lourd patrimoine, invisible, qui continue de s’immiscer et de faire de lourds dégâts : la soumission et le silence. » Deux fardeaux qui font, sans aucun doute, une bonne partie de la différence.
En une heure chrono, Gerry va alors, presque à son corps défendant, réaliser les premiers pas pour se sauver elle-même et briser le cercle infernal. Sous le regard du public, devenu un ensemble de mal-aimés anonymes, la trentenaire ose, pour la première fois, dire non et sortir de cette position de soumission par rapport à la gent masculine, inculquée par la société et sa propre mère. Souvent très drôle dans sa façon de croquer le mal-être amoureux et de traiter des sujets lourds – la congélation d’ovocytes, par exemple – sous un angle humoristique, le texte tout en subtilité de Géraldine Martineau développe, en creux, un propos aiguisé sur la difficulté d’être une femme aujourd’hui.
En lien constant avec les spectateurs, transformés en partenaires de jeu, la comédienne alterne, avec la même aisance et la même malice, les phases de confidences et les prises de décisions, les moments de déprime et les instants d’euphorie, l’introspection intime et les questionnements plus triviaux. Rondement mené, ce seul en scène particulièrement simple dans sa conception scénique – avec une chaise, quelques lumières bien senties et un vulgaire smartphone comme accessoires de jeu – fait l’effet d’une petite bulle d’air. Particulièrement pétillante, elle prendra, sans doute, une tout autre allure lorsqu’elle sera incarnée par Diane Bonnot, mais gardera, c’est certain, cette (im)pertinence textuelle qui fait une bonne partie de sa force.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Aime-moi
Texte Géraldine Martineau
Mise en scène Zazon Castro et Géraldine Martineau
Avec Diane Bonnot ou Géraldine Martineau (en alternance)
Géraldine Martineau : les lundis 3, 10 et 24 février, le mardi 18 et le dimanche 16
Diane Bonnot : le lundi 17 février, les mardis 4, 11 et 25 et les dimanches 9 et 23Production La Familia
Durée : 1 heure
Théâtre de Belleville, Paris
du 3 au 25 février 2020
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