Plus de vingt ans après sa première apparition au Festival d’Avignon, Alain Badiou et Didier Galas redonnent vie à Ahmed, cet homme à l’esprit farceur en lutte contre les maux qui gangrènent la société, mais le personnage n’a plus ni l’éclat, ni la pertinence d’antan.
Telle cette flopée de « revivals » ratés, Ahmed revient est l’épisode de trop, celui d’une série qui n’a pas su s’arrêter à temps, qui a cru bon de ressusciter plutôt que de rester, auréolée de son succès, dans les archives de l’Histoire du théâtre. Au milieu des années 1990, la tétralogie d’Alain Badiou – Ahmed le Subtil, Ahmed philosophe, Ahmed se fâche, Les Citrouilles – avait tourneboulé les esprits. Digne héritier de Scapin, ce fantasque citoyen de Sarges-les-Corneilles savait transformer ses traits d’esprit farceurs en balles traçantes, capables d’amocher les racistes les plus aguerris. Vingt ans plus tard, ses armes théâtrales et intellectuelles se sont sévèrement émoussées, et le résultat fait presque peine à voir.
Ahmed revient donc, mais il n’a rien à dire, ou si peu. Laborieux, le texte d’Alain Badiou tourne à vide et s’égare sur des sentiers philosophiques tarabiscotés qui, à force de tours, de détours et de contours, se perd en lui-même. De digression en digression, il saute du coq à l’âne et part dans tous les sens, d’un discours bas de gamme sur « l’évènement » à des jeux de mots sans saveur sur la « transcendance », du « Je suis donc je pense » de sa cousine Fatima à ses coups de genou droit dans le testicule gauche des racistes. L’ensemble prétend parler d’amour et de poésie, d’identité et de racisme, de laïcité et d’islamisme, mais il ne fait que s’enferrer dans un propos abscons et caricatural, riche de portes ouvertes enfoncées à l’aide de gros sabots politiques. Les cibles d’Alain Badiou sont certes les bonnes, mais son cheminement intellectuel labyrinthique et confus vire à la prise de tête inefficiente et naïve, passablement mal armée face aux enjeux sociétaux cruciaux que le XXIe siècle doit affronter.
Seul en scène, derrière le célèbre masque crée par Erhard Stiefel, Didier Galas joue avec l’énergie du désespoir. Dans une ambiance très commedia dell’arte, au centre d’un décor frugal parfaitement adapté à ce spectacle itinérant, le metteur en scène et comédien mouille le maillot – au sens propre comme au figuré – et fait de son corps un vecteur de théâtralité. Entre Ahmed et lui, il existe un monde, celui du théâtre, que sa performance burlesque, malgré ses ressorts parfois datés, donne à apprécier au plus juste et au plus près, offrant à cette pièce l’un de ses seuls éléments dignes d’intérêt. Interrogé sur le sens de ce retour, Didier Galas répondait : « Ahmed est séditieux, il dit les choses comme des vérités et s’amuse de leurs conséquences sur la pensée. » Un problème se pose lorsqu’elles n’en ont absolument aucune.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Ahmed revient
Mise en scène et jeu Didier Galas
Texte Alain Badiou
Collaboration artistique Jean-François Guillon, Emily Wilson
Musique Joël Grare
Son Thibaut Champagne
Lumière Perrine Cado
Costumes Catherine Sardi et Annika Nilsson
Masque Erhard StiefelProduction Les Hauts Parleurs
Coproduction Festival d’Avignon, Théâtre du Fil de l’Eau (Pantin), Théâtre L’Arc-en-ciel (Rungis), Comédie de Reims CDN
Avec le soutien du Ministère de la Culture Drac Île-de-France et pour la 72e édition du Festival d’Avignon : Adami
Avec l’aide du Théâtre de la Commune (Aubervilliers), La Grange Dîmière Théâtre de FresnesDurée : 1h30
72e édition du Festival d’Avignon
En itinérance du 6 au 23 juillet 2018
Collège Anselme Mathieu à Avignon
Complexe sportif Jean Galia à Rochefort-du-Gard
Maison des associations à Mérindol
Pôle culturel Camille Claudel à Sorgues
Salle Jacques Buravand à Boulbon
Salle polyvalente de Saze
La Boiserie à Mazan
Salle des fêtes La Pastourelle à Saint-Saturnin-lès-Avignon
Salle Roger Orlando à Caumont-sur-Durance
Cour du château de Vacqueyras
BMW MINI-Foch Automobiles à Avignon
Salle de spectacle Camille Claudel au CHU de Montfavet
Espace culturel Folard à Morières-lès-AvignonLa Passerelle, Saint-Brieuc
Du 26 au 30 novembreThéâtre Jacques Brel, Pantin
Du 12 au 21 mars 2019Théâtre de Rungis
Les 28 et 29 mars
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