Créé en 2017 par Judith Depaule et Ariel Cypel, l’Atelier des artistes en exil organise du 1er au 30 novembre 2019 la 3ème édition de son festival pluridisciplinaire Visions d’exil. La partie émergée d’un travail quotidien d’accompagnement professionnel et administratif des artistes réfugiés.
Avec deux installations, une performance, un spectacle de danse, un défilé-performance et un concert, la soirée d’ouverture de Visions d’exil au Palais de la Porte Dorée a donné les couleurs, multiples, de la troisième édition de ce festival porté par l’Atelier des artistes en exil (AAE). Une structure d’accompagnement des artistes réfugiés unique en France qui, en trois ans à peine, a su s’imposer dans notre paysage culturel. Et lui donner un visage un peu plus ouvert, davantage en résonnance avec les violences de l’époque. Celles de l’exil en particulier, « qui déplace les corps et tant d’autres choses avec eux », qui est « perte et libération, entre douleur et émancipation », écrivent dans leur édito les directeurs de la structure, Judith Depaule et Ariel Cypel.
Pendant un mois, quatre lieux parisiens – le Palais de la Porte Dorée, le Musée national Eugène-Delacroix et la Salle Principale – ainsi que la Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin ouvrent leurs portes aux artistes programmés par l’AAE. Parmi lesquels une majorité d’artistes en exil, et d’autres qui ne le sont pas mais qui s’intéressent au sujet. Afin d’offrir une approche plurielle de la question de la langue, au cœur de cette édition de Visions d’exil. Pour Judith Depaule, « un artiste en exil n’a selon moi ni plus ni moins de légitimité pour traiter du déracinement qu’un artiste qui ne vit pas le déracinement. Cela vaut pour n’importe quel autre sujet. Il est important de multiplier les expressions, les points de vue. Tout comme il faut respecter les réfugiés qui souhaitent oublier leur situation, ses difficultés, de la même manière que les activistes ».
Avec l’installation The Man from Mars, on découvre l’univers de Ramo. Un plasticien marocain contraint de s’installer en France en 2015, membre de l’AAE depuis 2018. Sur deux pyramides de cubes blancs, des mots portent, explique l’artiste, « des éléments de langues et de leurs fonctions ou dysfonctions, librement inspirés d’auteurs qui ont été un jour étrangers ou influencés par des cultures étrangères (Nabokov, Lorca et Gibran) ». Des auteurs dont la poésie résonne en voix off, tandis qu’à côté, des étudiants en art activent le dispositif Des papiers imaginé par un collectif d’artistes issus de pays éloignés : la Corée du Sud, les États-Unis et la France. Interrogeant les curieux sur la situation d’exil et sur les papiers qu’elle produit, ils mettent en marche des algorithmes qui croisent les mots du public avec des archives de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Au milieu des visiteurs venus nombreux – plus de 1500, entend-on dire avant le concert du groupe d’électro orientale 47SOUL qui clôt la soirée – découvrir les propositions entièrement gratuites du festival, des hommes avec un poste de télé en guise de tête donnent à entendre des discours historiques en faveur de l’indépendance du continent africain. Cette performance du plasticien et performeur sud-africain Yannos Majestikos, membre de l’AAE depuis 2018 s’éclipse pour laisser place au Corps en transe du danseur et chorégraphe congolais Daouda Nganga, puis à Contamination du jeune créateur de mode et « artctiviste » tunisien Ayoub Moumen. Un défilé-performance où il déploie un « langage vestimentaire » sans concessions, aussi bien envers le milieu de la mode qu’envers les représentations dominantes de l’exil. Réalité qui pour lui « n’est pas un thème de création, mais une histoire vécue qui apparaît dans mes créations à travers des motifs récurrents, des morceaux de fiction ». À travers, en l’occurrence, des silhouettes habillées de chutes de tissu, de divers matériaux récupérés et chaussées d’un seul soulier. Façon migrant, façon naufragé.
Soutenus comme plus de 200 autres personnes par l’AAE dans leurs démarches artistiques aussi bien qu’administratives, ces artistes questionnent tous leur langage, leur vocabulaire, en même temps qu’ils l’inventent. Sans jamais aborder de manière frontale les raisons qui les ont poussés à quitter leur pays, sans formuler le déchirement. Ce que font les sept artistes de l’AEE dont Judith Depaule a recueilli les témoignages pour créer la troisième partie du cycle Je passe, présenté le 2 novembre au Palais de la Porte Dorée. Un spectacle qui documente le moment du départ grâce à des portraits vidéos et des récits portés par de jeunes comédiens issus de l’ERAC de la manière la plus neutre possible. Donnant ainsi à entendre sans pathos, avec la distance juste, la diversité des parcours des réfugiés. Et celle des esthétiques grâce auxquelles ils partagent ce vécu dont Judith Depaule met bien en avant la complexité. L’ambivalence.
Au nombre et à la grande variété des œuvres présentées lors de ces deux premiers jours de Visions d’exil, on devine la richesse de toutes celles qui feront la suite du festival. Et de celles qui verront le jour ailleurs, car « pour de nombreux professionnels, l’AAE est devenu une référence. Nombreux sont ceux qui viennent découvrir les artistes que l’on programme, ou qui nous demandent conseil pour leur programmation ». Judith Depaule se réjouit aussi de constater que sa structure « s’est aussi imposée dans le milieu associatif ». Une chose précieuse, dans un contexte général de tension entre ce milieu et celui de l’art. Réussite qui ne peut qu’encourager les artistes réfugiés à s’adresser à l’AAE, dont les six salariés, les quatre services civiques et la quarantaine de bénévoles s’occupent au mieux, bien qu’en sous-effectif par rapport au nombre croissant de membres. « Il faudrait pouvoir embaucher à mesure que les demandes augmentent », observe la directrice. « Mais dans l’immédiat, nous attendons surtout d’être logés dans un lieu conforme à nos besoins ». Ce qui n’est pas le cas du local de Quai de la Rapée attribué à l’AAE après qu’il ait dû quitter son grand nid de la rue des Poissonniers dans le 18ème arrondissement. « Les artistes en exil ont besoin d’une maison-refuge ». En attendant, Visions d’exil continue de déplacer les regards.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Festival Visions d’exil
Du 1er au 30 novembre 2019
www.visionsexil.aa-e.orL’atelier des artistes en exil
1 place Mazas, 75 012 Paris
+33 (0)1 53 41 65 96
contact@aa-e.orgwww.aa-e.org
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