La quatrième édition du festival Vis-à-Vis consacré aux pièces créées dans les centres pénitenciers, initié par Valérie Dassonville s’est tenue du 20 au 23 janvier au Théâtre Paris-Villette. Retour sur la soirée d’ouverture.
Jeudi 20 janvier, 18 h 52. La tension qui règne dans les coulisses du Théâtre Paris-Villette est digne de la série 24 Heures chrono, Jack Bauer en moins. Le coup d’envoi de la 4e édition du festival Vis-à-Vis, dédié aux pièces montées en prison, démarre dans huit minutes. Sa directrice artistique, Valérie Dassonville, est sur les dents. « En temps normal, l’organisation est toujours compliquée, souffle-t-elle entre deux portes. Avec le Covid, elle devient absolument infernale ». Il y a quelques jours, en effet, un cluster a été détecté au Centre de détention de Melun, en Île-de-France. La pièce prévue ce soir, Frictions #4, qui met en scène une dizaine de ses prisonniers, devait être annulée. Mais au dernier moment, l’administration a donné son feu vert. L’heure est à la précipitation. Dehors, déjà, les spectateurs se bousculent au portillon.
18 h 57. Le trac des détenus est perceptible jusque dans le public. Mesures sanitaires obligent, la troupe carcérale n’a pas répété depuis dix jours. « Je me suis inscrit aux cours de théâtre il y a quatre ans, explique Jean-Pierre. Mais je n’ai jamais joué devant des spectateurs et le texte que je dois lire ce soir est vraiment coton : c’est pas des mots qu’on a l’habitude de dire. Oui, je ne suis pas serein. » Jean-Pierre, 74 ans, a une gueule de cinéma. Il purge une peine de 13 ans au Centre de détention de Melun.
19 h 5. 120 spectateurs ont pris place dans l’ancien Pavillon de la Bourse aux cuirs. Ils sont professionnels du milieu pénitentiaire, proches des détenus ou abonnés du lieu. Valérie Dassonville prend la parole. « Au théâtre, rappelle-t-elle, un projet n’existe qu’à partir du moment où il est interprété devant un public. » Ces représentations jouent un rôle dans la réinsertion des prisonniers. Pour ces derniers, il s’agit de se présenter à nouveau face à la société. Et donc autrement. S’en suit la projection d’un court documentaire réalisé par la compagnie Keatbeck. Le film met en scène une série d’expérimentations créatives menées au Centre pénitentiaire de la Santé, à Paris. On y découvre des détenus, travaillant sur la question de la marche, individuelle et en groupe ; quel sens donner à cette activité ? Comment marcher sur des planches de théâtre ? Jamais leur visage n’est montré. Mais toujours, leur voix témoigne d’un enthousiasme sincère.
19 h 30. Le théâtre est plongé dans l’obscurité, enfin. Dix acteurs, tout de noir vêtus, investissent la scène. Les uns après les autres, ils s’avancent face au public, avec lenteur et gravité, sur la musique planante du groupe alternatif américain Low. On observe leur visage, communs et différents, dans un dénuement total. La nervosité est palpable, mais l’intensité produite saisissante. Des séquences du long-métrage Zatoïchi de Takeshi Kitano sont diffusées sur un grand écran. Et le spectacle commence. L’auteur Antony Quenet a choisi une mise en scène contemporaine qui lorgne plus du côté de la danse que du théâtre. Au diapason des samouraïs, les mouvements sont lents et donnent lieu à de simples poses individuelles ou des tableaux de groupe. Les acteurs lisent deux par deux des passages de L’œil et l’esprit, le dernier écrit du philosophe Merleau-Ponty (un texte plutôt « coton », effectivement). Entre le film japonais, la phénoménologie française et les déplacements des détenus de Melun, le mariage produit des effets singuliers, parfois incongrus, mais toujours marquants. On se souviendra de ces corps, de ces figures et surtout de cette envie de bien faire.
20 h 45. Standing ovation, le public applaudit à tout rompre. Valérie Dassonville et Adrien de Van, co-directeur de l’établissement, sourient, ce qui fait plaisir à voir.
21 h 5. Dans les coulisses, Jean-Pierre se prête au jeu de l’interview. Stressé ? « Beaucoup moins. » Satisfait ? « Oui, même si on aurait pu faire beaucoup mieux avec plus de répétitions. » Ému ? « Forcément, pour tous ces gens qui nous ont aidés. » Depuis qu’il fait du théâtre, Jean-Pierre est certain d’avoir changé. « Avant je ne parlais pas, précise-t-il. J’étais timide. Aujourd’hui, je rigole et je peux communiquer avec tout le monde. Peut-être que quand je sortirai, dans deux ans, je prendrai des cours. J’aurai 76 ans quand même, alors on verra si j’y arrive. » En attendant, il dînera près de loges, avec les autres. Ensuite, il faudra rentrer à Melun, derrière les barreaux. Mais grâce au théâtre, heureusement, l’évasion est encore possible.
Igor Hansen-Love — sceneweb.fr
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